Les Vacances de Jésus et Bouddha : catéchisme ludique pour les nuls ?

/ Dossier - écrit par Islara, le 17/10/2013

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Les Vacances de Jésus et Bouddha fait partie de ces œuvres qui se lisent à de multiples niveaux. En l'occurrence, que ce soit voulu ou non, et bien que le manga soit humoristique, on y trouve une multitudes de références très pointues, inconnues de la plupart des gens. Vous n'y croyez pas ? Laissez-vous tenter par les lignes qui suivent...

À l'heure où les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo déchaînaient des violences il y a un an, à l'heure où les caricatures du Canard Enchaîné sur l'attribution des JO à Tokyo créaient un incident diplomatique avec le Japon il y a quelques semaines, un manga passe inaperçu de toute passion (si ce n'est humoristique), alors qu'il est d'une audace assez étonnante et est pourtant dans les rayons depuis cinq ans déjà. C'est que Les Vacances de Jésus et Bouddha narrent le retour sur Terre, ensemble, en amis, de deux des plus grandes figures religieuses de l'Histoire de l'Humanité : Jésus Christ, fils de Dieu, fondateur du christianisme, et Siddhartha Gautama, l'éveillé, fondateur du bouddhisme. Les deux amis décident, après avoir œuvré pendant plus de 2000 ans pour le bonheur de l'Humanité, de prendre des vacances en louant un studio sur Terre, à Tokyo. En tant que tel, le principe du manga pourrait choquer plus d'une âme croyante (et nécessairement très étroite d'esprit), car Jésus n'est pas censé revenir tout de suite, et encore moins avec Bouddha selon les croyances chrétiennes ; inversement, du peu que j'en sais, Bouddha n'est pas censé revenir non plus, et pas avec un certain Jésus. Pourtant, comme nous les soulignions, ça fait cinq ans que la série a commencé, ce n'est donc pas comme si elle n'avait pas eu le temps d'être remarquée, et aucune réaction ne
se fait sentir, fort heureusement d'ailleurs. Pourquoi tant d'indifférence de la part des publics intransigeants, qui savent pourtant si bien se faire remarquer dans d'autres situations ?

Deux raisons majeures, à notre humble avis, expliquent cet état de fait : d'une part, comme l'a déjà souligné notre très respectable critique habituel de la rubrique manga, j'ai nommé OuRs, il n'y a aucune trace de sentiment anti-religieux dans l'oeuvre, bien au contraire. L'auteur, Hikaru Nakamura laisse même plus d'une fois entrevoir son attachement et son respect pour les deux religions concernées (si tant est que l'on puisse désigner le bouddhisme sous le terme de religion, sachant que les bouddhistes n'adorent aucun dieu, mais là n'est pas la question). D'autre part, plus on avance dans l'œuvre plus on s'étonne des très grandes connaissances de la sympathique dame en matière religieuse. Pas une fois, nous n'avons pu constater d'erreur sur les références religieuses, au moins celles du christianisme (à l'exception, et encore elle se discute, de la transformation des pierres en pain qui n'a jamais eu lieu puisqu'elle était la première tentation du démon dans le désert - Matthieu, chap. 4 v. 3), à tel point que l'on pourrait presque recommander la série comme manuel de découverte du christianisme et du bouddhisme pour les ignorants. Démonstration, pour le premier cas...

Des références classiques totalement exactes

Les âmes un minimum instruites ou croyantes nous diront qu'il n'y a rien de bien extraordinaire dans les références du manga. Beaucoup savent que le malheureux Judas a trahi Jésus, que celui-ci est mort sur une croix, qu'il a marché sur les eaux, multiplié les pains, changé l'eau en vin aux noces de Cana, que Moïse a fait traverser la Mer Rouge au Peuple Élu, qu'il y a quatre Évangiles ou que Pierre a renié Jésus trois fois avant que le coq ne chante. L'on sait aussi que la mère de Jésus était Marie, que c'est l'ange Gabriel qui lui a annoncé sa grossesse, qu'il y a des archanges, que Noé a construit une arche pour échapper au déluge, que le monde a été créé en 6 jours, que Saint Thomas n'a pas voulu croire sans avoir vu les stigmates de Jésus, que Caïn a tué Abel, que Jeanne d'Arc est morte sur le bûcher etc...

Le fait est que, même si ces références sont bien connues, leur reprise en quantité est tout à fait fascinante, d'autant plus qu'elles sont rigoureusement exactes. Hikaru Nakamura a voulu se marrer et nous faire rigoler, autant dire qu'elle le fait dans l'orthodoxie - au sens sans erreur - la plus totale. Pas d'approximation, pas d'impasse, tout est repris en détail y compris les 30 pièces d'argent qu'a reçues Judas, ou la joue gauche qu'on doit présenter quand on est frappé sur la joue droite. Pour preuve, je vous donne les références pour les Krinautes les plus pointilleux : pour les trente pièces d'argent : évangile selon Saint Matthieu, chap. 26 v. 15, chap. 27 v. 3 ; pour la joue gauche (ou droite comme vous préférez), même évangéliste chap. 5 v. 39. C'est à se demander d'ailleurs si l'auteur n'a pas un faible pour cet évangéliste. Car vous le savez, ou pas, les Évangiles présentent pas mal de différences sur certains détails, ou mentionnent des évènements que les autres ne mentionnent pas. La seule légèreté prise par l'auteur que nous avons constatée, c'est sur l'origine de Lucifer. Mais après tout, celle-ci n'étant pas bien claire, l'auteur pouvait choisir la version correspondant la mieux aux scènes ubuesques qu'elle mettait en place. 

Quoi qu'il en soit, là où ça commence à être impressionnant, c'est qu'il y a un nombre phénoménal de références, qui ne sont pas forcément connues, même par les plus instruits ou les plus croyants.

Des références pointues tout aussi exactes

Nous allons jouer à un petit jeu. Essayez de répondre à ces questions sans aller vous renseigner. Pourquoi Jésus porte-t-il le chiffre 13 sur son T-shirt dans le manga ? À quel endroit de Jérusalem a-t-il été crucifié ? De quel côté est son stigmate ? Comment dit-on le nom de Jésus en hébreu ? Que signifie ce nom d'ailleurs ? Quelle langue parlait Jésus dans sa vie de tous les jours (non, ce n'est pas l'hébreu) ? À qui lave-t-il les pieds et quand ? Que dit Pilate avant d'accepter de faire crucifier Jésus ? Qu'a fait de particulier Sainte Véronique ? Uriel est-il vraiment un archange révéré par les chrétiens ? Quelle est l'origine chrétienne du Père Noël ? Comment est mort Jean-Baptiste et à cause de qui ? Quel trafic a causé l'ire de Luther et sa rupture définitive d'avec  l'Église catholique romaine ? Combien d'apôtres portaient le même prénom ? Qui est le frère de Pierre ? Quel est l'uniforme des gardes du Vatican ? Que faisait Jésus quand les apôtres ont fini par le reconnaître après sa résurrection ? À quel âge Jésus échappa-t-il trois jours à Joseph et Marie pour rester au Temple de Jérusalem ?

Même si vous avez suivi le catéchisme, à moins d'aller à la messe/l'office tous les dimanche (et encore...) ou d'être particulièrement cultivé(e), vous ne savez probablement pas répondre à ces questions. Enfin, vous pouvez toujours essayer, je vous dirai si vous vous trompez ou non. Hi hi.

Quoi qu'il en soit, toutes les réponses sont dans le manga, ou au moins des allusions et références. Pas rien quand même. Surtout quand on sait qu'il n'y a environ que 1,5 million de chrétiens au Japon (catholiques, protestants et orthodoxes confondus, ces derniers représentant une très faible part), sur les 130 millions que compte le pays en habitants. Donc, là, nécessairement, la série force le respect, non plus seulement par sa rigueur, mais par les connaissances très approfondies dont l'auteur, japonaise et donc probablement non chrétienne, a su faire preuve. On imagine le temps qu'elle a dû passer à lire la Bible, les Évangiles et les différents Livres Hébraïques ; pire en réalité, ce n'est pas sûr qu'on puisse l'imaginer. Dans une prochaine interview (cliquez ici pour la première), on tâchera de lui demander à quelle fréquence elle lisait la Bible/la Torah/le Talmud et combien d'heures elle y a passé. C'est là qu'on se rend compte que la vie de mangaka telle que l'a décrite par Tsukasa Hojo dans Family Compo, à travers oncle Sora/Haruka, n'était pas du tout exagérée. De fait, si vous souhaitez donner une instruction religieuse à vos enfants de manière originale, sachez que vous pourrez leur offrir Les Vacances de Jésus et Bouddha. Cette série est bien plus qu'une vaste compilation d'excellentes blagues. Même vous les instruits, vous y puiserez des connaissances.

Blague à part, sachez quand même que l'écueil de tout ça, c'est que le manga ne sera pas toujours très bien compris si vous n'avez pas de solides bases et qu'il vous faudra aller vous renseigner pour comprendre.

Les esprits les plus pointilleux pourraient dire que l'instruction religieuse ne se résume pas à l'accumulation de connaissances ou références et qu'il serait donc bien parcellaire de découvrir une religion par ce manga. Pas sûr. Car même l'esprit religieux nous paraît respecté.

Un certain esprit "religieux"

Si l'auteur met en scène Jésus et Bouddha dans des situations amusantes, voire hilarantes, et décalées, elle part toujours du principe que ce qu'ils disent est parfaitement vrai. Eh oui, Jésus est bien le fils de Dieu, Bouddha lévite en méditant et a atteint un état spirituel de sérénité/sainteté lui permettant d'échapper au cycle des réincarnations. Elle ne prend pas partie, mais demande juste à son lecteur de poser l'hypothèse comme vraie. Au-delà du fait qu'un croyant ne pourra que se sentir en harmonie avec ce principe de base, le manga dégage (malgré lui ?) une atmosphère spirituelle. Jésus et Bouddha restent tels qu'ils sont censés être : des hommes bons, qui ne feraient pas de mal à une mouche, qui passent leur temps à s'excuser, se remettre en question, même pour des queues de cerises, et à essayer d'accomplir de bonnes actions. Il est clair que c'est plus une grande candeur qu'une infinie sagesse qui se dégage de leur personnage, mais néanmoins, l'atmosphère est là, et peut susciter réflexion auprès du lecteur plus d'une fois. Jésus indique même clairement que Judas a été pardonné et absous de sa trahison (tome 3). C'est quand même une véritable thèse de théologie que l'on pourrait rédiger sur la rédemption de Judas. Il est donc très intéressant que l'auteur ait mis sans complexe les pieds dans un tel plat. 

Finalement, le manga se lit à plusieurs niveaux : un simple enchaînement de blagues amusantes, un manuel d'instruction religieuse original, une dimension un tantinet spirituelle cachée derrière tout cela.

On conclura sur ce qui est peut-être le message - volontaire ou non - le plus fort du manga. Vous aurez remarqué, même si vous n'avez pas encore lu celui-ci, que Jésus et Bouddha sont des super potes dans toute cette histoire. Plus encore, l'auteur part du principe qu'ils sont tous les deux au paradis (même si ça a l'air d'être deux paradis parallèles) et que, même si Bouddha n'est pas chrétien, il est un saint homme aux yeux de Jésus et, réciproquement, Jésus est un saint homme (et le fils de Dieu) aux yeux de Bouddha. Bouddha va même jusqu'à dire, dans le tome 3, que l'éveil serait une simple formalité pour Jésus. Méditons ce que ces postulats impliquent : une véritable bombe dans les principes théologiques de chaque religion sur le salut des humains. Ces questions ont fait couler une encre phénoménale depuis des siècles et des siècles, et voilà que par un petit coup de crayon, un manga amusant vient faire voler en éclats le débat par un postulat des plus simples : le "salut" s'obtient par des voies parallèles. 

Ainsi, avec la plus grande finesse, qu'elle l'ait voulu ou non, Hikaru Nakamura nous donne une grande leçon de tolérance religieuse : les croyant(e)s de ce monde doivent être ami(e)s, et cela n'empêche absolument pas chacun(e) de continuer sans faille à croire à ses propres croyances, ou à ne pas y croire.

Amin. Amen. Aum.

PS : - les références visées dans ce dossier correpondent aux tomes 1 à 5 de la série

-pour des raisons juridiques liées aux droits d'auteur des maisons d'éditions japonaises, nous ne pouvons illuster ce dossier par des images et nous excusons dès lors pour la lourdeur qui en résulte.