Rencontre avec Hikaru Nakamura - Quand Jésus est une femme... !

/ Interview - écrit par OuRs256, le 08/04/2013

Tags : jesus bouddha avec manga nakamura hikaru vacances

Derrière ce titre un peu racoleur se cache en réalité l'une des réponses formulée Hikaru Nakamura, auteur des Vacances de Jésus et Bouddha, titre en cours de parution aux éditions Kurokawa, à une de mes questions. Elle était invitée au Salon du Livre, ce qui a permis à Krinein de la rencontrer.

 


Cachée par un joli éventail...
Salomon Ifrah (SI)
: Bonjour Hikaru Nakamura.
Hikaru Nakamura (HN) : Bonjour !

SI : Première question, très classique, est-ce que c'est votre première venue en France et est-ce que vous avez eu le temps de faire quelques visites ou pas encore ?
HN : Oui, tout à fait, c'est la première fois. J'ai pris deux jours pour faire le tour donc j'ai un peu visité Paris, je suis allée au Mont Saint-Michel et le dernier jour, je vais avoir encore un peu de temps pour visiter la ville.

SI : Vous avez donné votre première séance de dédicaces en France il y a quelques minutes, comment s'est passé le premier contact avec le public français ?
HN : J'étais très contente parce que, même avec la barrière de la langue et le fait de devoir converser par traducteur interposé, j'ai eu le même genre de relations qu'avec les lecteurs que je rencontre au Japon. Ils transmettent vraiment beaucoup de passion dans ce qu'ils me disent et on sent que ce sont des gens qui ont beaucoup apprécié mes livres et ça m'a fait extrêmement plaisir. 

SI : En parlant de ça, comment avez-vous réagi quand on vous a dit que l'une de vos oeuvres allait être adaptée en français ?
HN : Je me faisais du souci parce que c'est vrai que les gags du manga s'appuient beaucoup sur des anecdotes du quotidien japonais et j'avais peur que les lecteurs français ne comprennent pas en fait. 
SI : Je peux vous assurer que l'adaptation est excellente donc ça passe super bien !

*SI : Comment en êtes-vous arrivée à dessiner des manga ? 
HN : Au départ, j’aimais bien dessiner de simples illustrations. J’ai un grand frère et une grande sœur bien plus âgés que moi, et lorsque j’étais au collège, ils suivaient déjà tous les deux des cours dans une université d’art, donc la maison était remplie de carnets de croquis. Je me suis ainsi naturellement intéressée au dessin. Puis je me suis mise à lire Dragon Ball et d’autres manga, et c’est ce qui m’a donné l’envie d’en dessiner à mon tour je pense. 

*SI : Pensiez-vous pouvoir devenir mangaka professionnelle ? 
HN : J’étais consciente qu’il s’agissait d’un métier difficile. J’avais prévu de continuer à soumettre mes projets aux éditeurs jusqu’à mes 20 ans, date à laquelle je serais devenue l’assistante d’un dessinateur. Et si à 25 ans je n’étais toujours pas publiée, j’avais décidé d’abandonner. 

*SI : Au final, vous êtes devenue pro un an à peine après avoir commencé à démarcher les maisons d’édition, à l’âge de 16 ans. Comment cela s’est-il passé ? 
HN : Mes débuts ont été plus faciles que je ne l’imaginais. Au départ, j’avais dessiné une longue histoire, car j’étais influencée par Kaiji Kawaguchi que j’aime beaucoup. J’avais donc dessiné une grande histoire de guerre. Comme je suis une grand fan des Héros de la galaxie, j’avais créé tout un univers avec énormément de travail de fond inspiré de cette série. Lorsque j’ai commencé à envoyer mes productions à des concours de manga, j’avais décidé de participer à tous les concours possibles, mais au troisième, je n’ai pas eu le temps de terminer ce que j’avais prévu. Du coup, j’ai envoyé une petite histoire humoristique qui a obtenu un prix de consolation. L’un des responsables éditoriaux l’a beaucoup aimée, et c’est comme cela que ma carrière a commencée. Lorsque j’y repense, je me dis que si j’étais restée accrochée à cette grande fresque scénarisée, ma carrière aurait pu ne jamais être lancée. 

SI : J'ai lu dans votre biographie que l'un de vos jeux préférés était Metal Gear Solid. Je sais que l'emploi du temps d'un mangaka est très chargé donc... Où est-ce que vous trouvez le temps de jouer ?
HN : En fait, pour une oeuvre comme MGS en particulier, c'est vraiment un titre que j'ai envie de faire à fond donc en général je m'arrange pour prendre vachement d'avance sur mon travail et je termine le jeu en trois nuits blanches. 
SI : Dans la saga, lequel est votre préféré ?
HN : C'est celui par lequel j'ai commencé donc le 2 ! 

SI : Est-ce qu'il y a encore des manga que vous suivez avec impatience chaque semaine ou chaque mois ? 
HN : Historie et Yotsuba&! sont deux titres que j'aime toujours autant suivre.

SI : Pour le moment, vous n'êtes connue que pour des séries humoristiques, est-ce que vous envisagez de faire une série sur un ton un peu plus sérieux dans le futur ou vous préférez rester dans le registre comique ?
HN : Pour l'instant, je suis concentrée sur mes manga humoristiques mais je sais qu'un jour, je ferais une série sérieuse. 

SI : Justement, vous avez deux séries en cours, est-ce que la charge de travail n'est pas trop lourde ? 
HN : Effectivement, dessiner autant est difficile mais ce qui est le plus dur pour moi, c'est que c'est compliqué de passer d'une oeuvre à l'autre dans ma tête parce que les deux possèdent une atmosphère très différente.

*SI : Parlons un peu plus des Vacances de Jésus et Bouddha et plus
Cool Jésus ?
particulièrement de sa genèse, comment avez-vous eu une telle idée ? 
HN : Lorsque l’on m’a commandé cette série, je n’avais le temps de dessiner que quatre pages. Je me suis donc dit que j’allais donner la priorité aux personnages, davantage qu’à l’histoire. Alors que j’y réfléchissais, je me suis mise à griffonner mon type d’homme sur une feuille, et j’ai trouvé qu’il ressemblait à Jésus. Je me suis alors dit que j’allais essayer de dessiner Bouddha. Après réflexion, je pense que John Anthony Frusciante (NdT : guitariste du groupe Red Hot Chilli Peppers) m’a certainement servi de modèle. 

SI : Votre première série Arakawa Under the Bridge a déjà été adaptée en anime et maintenant, c'est au tour des Vacances de Jésus et Bouddha d'avoir son adaptation en film d'animation. Est-ce que vous avez été impliquée dans sa réalisation ?
HN : Pas tellement en fait ! 
SI : Ce n'est pas trop difficile de lâcher son "bébé" comme ça ?
HN : Ce sont des sentiments vraiment très étranges, pas forcément très agréables mais je fais en sorte de ne pas y penser. 
Son éditeur prend la parole : Mon rôle, c'était aussi de surveiller que l'oeuvre adaptée ne s'éloigne pas trop de l'oeuvre originale. De ce point de vue là, elle peut se permettre de ne pas trop faire attention puisque Kôdansha est là pour veiller à la fidélité de l'adaptation. 
SI : Donc, vous avez été limite plus impliqué dans le film d'animation que l'auteur ?
Editeur : Oui, dans le sens où j'ai tout fait pour que l'œuvre reste fidèle, il fallait une présence constante. Avec la maison d'édition, on a donc beaucoup travaillé sur le film d'animation sans toutefois créer quoi que ce soit, nous n'avons que supervisé et dirigé les auteurs du film. 

SI : La série se prête parfaitement à une adaptation en drama, est-ce que vous pensez que ça arrivera un jour ?
HN : Pour ma part, je préfère l'anime mais c'est vrai que, pour Les Vacances de Jésus et Bouddha particulièrement, une adaptation en prises de vues réelles serait meilleure et si ça se fait, j'en serais très heureuse. 

SI : Les Vacances de Jésus et Bouddha est une oeuvre susceptible de toucher un très large public de par son thème qui est quand même assez universel puisque c'est la religion, est-ce que ça a été difficile de mêler culture occidentale et culture japonaise ? 
HN : Au contraire, comme il s'agit d'un manga humoristique, le fait de faire que deux cultures différentes se rencontrent, ça aide à faire naître énormément de gags donc c'était très facile de les mettre ensemble. 

SI : Est-ce qu'il y a une partie de la Bible ou bien un groupe de personnages bibliques que vous préférez et que vous avez bien aimé adapter ou que vous aimeriez bien adapter ?
HN : J'aime beaucoup Saint André et surtout Saint Pierre.
SI : J'avoue, Saint Pierre il est cool !

SI : Le titre fonctionne sur un système d'histoires assez courtes, est-ce que vous envisagez un arc un peu plus long pour la série (qui s'étalerait sur un voir deux tomes) ? C'est peut-être déjà arrivé au Japon, je ne sais pas... 
HN (en riant) : Je n'y ai jamais pensé mais maintenant que vous le dites... Ça a l'air sympa !
SI : Ah ben, si je peux donner des idées... !

SI : Chose assez étonnante, les goûts de Jésus (représentant de l'occident), sont très très japonais (avec la technologie, etc.). Est-ce qu'il y a un peu de vous en Jésus (ou de Jésus en vous, c'est selon) ?  
HN : Oui, je pense qu'inconsciemment, il y a beaucoup de moi en Jésus, en tout cas dans le personnage du manga !
SI : Mais dans ce cas, qui est le modèle pour Bouddha ? Attention "Mon père" n'est pas une réponse valide !
HN (souriant) : Ça dépend. Il y a plusieurs personnes qui me servent de modèle selon les épisodes. D'une manière générale, c'est plutôt ma grande sœur. Tous les épisodes où Bouddha prend les choses en main et fait en sorte que tout se passe bien, c'est quelque chose que j'ai vécu avec elle.  

SI : Dans la série, Bouddha est toujours très calme et Jésus toujours surexcité. Ça fait très duo comique japonais (appelé manzai) qu'ils représentent avec Perma et Chevelu. Est-ce que vous appréciez ce genre d'humour et est-ce que vous avez grandi avec ? 
HN : Je n'ai pas grandi avec puisque de là où je viens, on ne pouvait pas avoir la télé donc les duos comiques japonais, je n'ai commencé à en voir qu'une fois que j'ai commencé à dessiner Les Vacances de Jésus et Bouddha donc en fait, je n'y connais pas grand chose. 
SI : C'est pas l'impression que vous donnez ! 


Nino en mode SDF.
SI
 : On va maintenant parler un peu plus d'Arakawa Under the Bridge. J'ai remarqué que le personnage principal, Riku, avait une attitude qui était, dans un sens, très Jésus (en particulier, son grain de folie qui fait qu'il est toujours surexcité). Est-ce que les deux personnages sont liés d'une certaine manière dans votre tête ? 
HN : Je dois avouer que... Je ne sais pas ! C'est la première fois qu'on me le dit et je n'y avais jamais pensé. Du côté de l'excitation peut-être mais... Je ne sais paaaaaaas !

SI : L'extraterrestre dans Arakawa, Nino, est complètement foldingue. De qui vous êtes-vous inspiré pour la créer ? 
HN : En fait, pour les héros d'Arakawa Under the Bridge, je m'inspire vraiment de personne en particulier. Ce sont des personnages que j'ai créé moi-même mais en ce qui concerne son aspect physique, je me suis inspirée d'Avril Lavigne. 

SI : Cette idée de faire une maison sous un pont, est-ce que ça ne viendrait pas de cette manie qu'on les enfants de faire des cabanes dans les arbres ? Est-ce que vous en aviez une aussi ?
HN : Tout à fait. Comme je vous l'ai dit, quand j'étais plus jeune, j'habitais à la campagne et j'allais souvent m'amuser sous un pont qui était à côté de chez nous et je m'étais même créé une petite base secrète dans laquelle j'allais jouer. Bien évidemment, ce n'était pas aussi bien que ce que j'imaginais que ça allait être mais bon... Du coup, oui, ce sont des restes de cette époque qui ont fait que l'action d'Arakawa Under the Bridge se situe sous un pont. 

SI : Dans la série, il y a souvent des personnages qui sortent un peu de nulle part comme le Kappa pervers ou le type en soleil. Est-ce que l'éditeur n'a pas mis des réserves sur certains personnages ? 
HN : Alors, je ne m'en souviens pas très bien puisque ça fait assez longtemps maintenant. Au tout début du manga, on m'avait demandé de faire du stock donc j'avais fait trois chapitres d'un coup, ce qui fait qu'il y a beaucoup de personnages qui sont apparus très rapidement mais je ne me souviens pas qu'on m'ait refusé un personnage. 
SI : Quand vous travaillez, que ce soit sur Les Vacances de Jésus et Bouddha ou Arakawa Under the Bridge, vous avez quand même assez de liberté, n'est-ce pas ?
HN : J'ai un petit peu moins de libertés sur Arakawa Under the Bridge parce qu'il y a quand même une histoire à suivre, un scénario donc j'ai plus de comptes à rendre à mon éditeur mais en ce qui concerne Les Vacances de Jésus et Bouddha, je suis entièrement libre.
SI : Héhé, ça risque de changer si vous vous décidez à faire un arc sur plusieurs tomes.  

SI : Dernière question, un peu débile mais bon... Je viens de vous poser énormément de questions pendant plus de vingt minutes, est-ce que vous, vous en avez une pour moi ? 
HN (toute sourire) : Comment est-ce que vous avez découvert Arakawa Under the Bridge (NdR : la série n'est pas disponible en France) ? Vous l'avez lu en japonais ? 
SI : Non, malheureusement, mon niveau de japonais ne me permet pas de lire un tome complet sans griller mon cerveau. Je vis actuellement en Angleterre et dans les pays anglophones, j'ai pu découvrir l'anime Arakawa Under the Bridge en DVD grâce à l'éditeur NIS.
HN : Ah... Evidemment !
SI : En tout cas, merci beaucoup et au revoir. 
HN : Au revoir.

Comme de coutume, je lui ai demandé à la fin si elle pouvait signer dans mon carnet et une fois j'ai eu le droit à un joli dessin de Nino, personnage d'Arakawa Under the Bridge (elle m'a même demandé quel personnage je voulais avant). En tout cas, ça fait plaisir de rencontrer une jeune auteur aussi dynamique et souriante. Comme Kurokawa a eu la gentillesse de nous fournir un communiqué de presse avec quelques questions/réponses très fréquentes à l'auteur, je me suis permis de les glisser parmi les questions posées durant l'entretien afin de le compléter (elles sont marquées d'une étoile).

Merci à Charlotte Marquevielle pour l'organisation de l'interview, à Grégoire Hellot pour la traduction et aux éditions Kurokawa en général pour avoir rendu la rencontre possible. 

Si vous aimez l'auteur, ne manquez pas notre critiques du cinquième volume de Vacances de Jésus et Bouddha à paraître ce mois-ci !