Au Temps de Botchan
Manga / Critique - écrit par juro, le 09/10/2004 (Tags : botchan temps taniguchi jiro japon sekikawa natsuo
Au Temps de Botchan est le révélateur sur ce que sera le futur maître Taniguchi et nous permet de rentre un peu plus dans la culture japonaise
Littérature et manga peuvent faire bon ménage ! Aussi improbable que le mélange puisse paraître, il est né de la rencontre de Jirô Taniguchi avec Natsuo Sekikawa. Prendre les écrivains les plus connus de l'archipel japonais pour relater une biographie extrapolée et non exhaustive sous la forme d'un manga relevait du pari complètement fou. A défaut de croire que Dragon Ball est l'unique phénomène culturel japonais, les non-initiés au manga pourront faire la connaissance d'un des mangas auquel a été apporté une véritable recherche bibliographique. Les autres pourront s'intéresser un peu plus aux penseurs japonais à l'origine des modes de pensée du Japon actuel. Quoiqu'il en soit, Au Temps de Botchan est l'exemple type d'un manga dont on peut ressortir plus cultivé si les gros pavés de quatre cents pages ne font pas peur.
A l'ombre des cerisiers en fleur...
Au Temps de BotchanAu Temps de Botchan se révèle être un tableau d'un pays en voie de mutation au sein duquel les observateurs de leur temps - les écrivains - posent les bases du système actuel. L'ère Meiji (à partir de 1868) a été un tournant pour le Japon en le faisant basculer dans la modernité. Obligés d'abandonner leurs traditions les plus anciennes pour rentrer de plein pied dans un monde en progrès, les japonais prennent exemple sur un Occident en constante évolution. Les changements sont subits, brutaux, incompréhensibles parfois. L'archipel se dote de moyens de communication inédits pour eux, les vêtements traditionnels partent à la poubelle, les us et coutumes fichent le camp... seul les écrivains sont garants des traditions.
Chaque volume nous propose de suivre un écrivain de cette époque dans sa vie quotidienne à la croisée des personnages marquants du milieu littéraire japonais. Il n'est pas question seulement d'histoire de plume mais bel et bien de mettre en valeur les moments de gloire et de déchéance d'écrivains à succès tourmenté par leurs démons (Natsume Sosseki), de gratteurs de papier maudits et désargentés (Ishikawa Takuboku) et tant d'autres en prévision dans les cinq volumes de l'oeuvre. Le fil conducteur reste l'époque où les héros se rencontrent, font connaissance. Êtres hors du temps, ils constatent l'évolution politique du régime, les changements technologiques avec un oeil acerbe. Le Japon prend une voie européenne dangereuse, la seule solution consiste à sauver cette époque par les écrits...
Le progrès entraîne la déchéance intellectuelle
L'influence européenne ressort plein pot dans le ton donné au récit. Un manga n'a jamais autant ressembler à une BD que dans Au Temps de Botchan. Ce serait presque une biographie des auteurs que Natsuo Sekikawa aurait désirer nous proposer tellement les faits sont rapportés de manière littéraire, entre paraboles et effets de styles. Les personnages paraissent vrais (sans artifice ni super pouvoir) et enclin aux déboires humains. S'ils n'arrivent pas à fuir la réalité d'un monde qu'ils ne reconnaissent plus grâce à leur inspiration, ils n'hésitent pas à recourir aux bassesses humaines, d'où des beuveries incessantes à l'origine de plus grands moments d'inspiration mais aussi répétitives. Sans trop glorifier les personnages, l'auteur rend ses personnages attachants plus par leurs défauts et par leurs prises de positions contre un monde en changement.
Côté planche à dessin, Taniguchi affûtait ses instruments sur un de ces premiers projets. Justesse, précision, propreté... le mangaka donne déjà sa signature à un scénario qui lui convenait parfaitement. Seul l'épaisseur de quelques traits (notamment pour les visages) fait exception à la règle du « tout parfait » habituellement présente dans les travaux de l'auteur de Quartier Lointain. Cela reste un régal qui complète la combinaison avec Sekikwa, Taniguchi n'est jamais aussi à l'aise que pour illustrer des moments de vie quotidienne desquels se dégage une certaine solitude, en plus de la nostalgie persistante.
Une très bonne initiative chez Seuil (qui en appelle d'autres !), mêmes si les longueurs et les répétitions du scénario de Sekikawa font perdre un peu de rythme aux ouvrages. Au Temps de Botchan est le révélateur sur ce que sera le futur maître Taniguchi et nous permet de rentre un peu plus dans la culture japonaise. Les pavés de quatre cents pages ne sont pas à la portée de tous et pourront sembler un peu lourd à assimiler. Cependant, en y consacrant du temps et beaucoup de courage, les subtilités du pays du Soleil Levant tournant les yeux cers l'Occident vous sauteront aux yeux.