8.5/10Le Journal de mon père

/ Critique - écrit par juro, le 07/08/2004
Notre verdict : 8.5/10 - Journal très intime (Fiche technique)

Cet été, sur Krinein, on a décidé de rattraper le temps perdu et du coup on a aussi choisi de vous faire profiter d'un auteur en vogue : Jirô Taniguchi. Plus besoin de rappeler son parcours, le mangaka commence à faire son trou avec son style se rapprochant de la bande dessinée. Sans parler de la nostalgie qui se dégage de ces oeuvres, les personnages principaux sont tourmentés par un lourd passé dont ils essayent de faire table rase. Le Journal de Mon Père en est le parfait exemple. Si la base reprend celle de Quartier Lointain, les particularités du premier permettent néanmoins d'en faire une référence dans le genre du seinen aux accents sentimentaux.

Cet homme que je ne connaissais pas...

Le Journal de mon Père
Le Journal de mon Père
Cela faisait quinze ans que Yoichi n'était pas retourné dans la ville où il avait passé toute son enfance, Tottori. Son père vient de décéder et il est convié à la veillée funèbre pour retrouver le reste de sa famille exceptée sa mère, partie avec un autre homme alors que lui-même était encore enfant. Revoir une dernière fois son père provoque irrémédiablement des pensées nostalgiques et les émotions enfouies tout au fond de lui ressortent. Son enfance brisée, son adolescence morne, une jeunesse dont il a souffert et dont la faute principale est reversée sur... l'homme dans le cercueil. Pourtant, à force de réflexion et d'ouvrir ses pensées aux autres, Yoichi va en apprendre plus en une journée sur son père que durant toute sa vie passée...

Le passé resurgit inlassablement par la remémoration des périodes cruelles d'une enfance où le manque s'est fait sentir. Le manque, ce pourrait être le thème principal du Journal de Mon Père avec une absence de dialogue et la relation père/fils aux limites de l'inexistence, un manque d'émotion d'un père qui se doit d'être fort pour sa famille par rapport à une insuffisance de réflexion d'un fils qui ne veut pas montrer ses faiblesses. Le manque va intarissablement entraîner la perte de contacts entre deux personnes proches lorsqu'un lien les unissait encore. Ce lien, c'est la mère de Yoichi. Manquante au demeurant, elle aussi, par décision.

L'histoire va évoluer durant toute la scolarité de Yoichi mettant en avant les différents aspects de ses émotions : incontrôlable lors de sa prime enfance, réfléchies ensuite, avant de se tourner vers la colère froide. Faisant preuve d'un égocentrisme sans borne, le narrateur ne pense qu'à lui, les autres sont devenus des ennemis, à part son oncle. La relation qu'il va d'ailleurs tisser avec lui en fera vraisemblablement plus un père que son propre géniteur.

Cette femme que je glorifiais...

Prenant aux tripes malgré sa douceur apparente, Le Journal de Mon Père donne une vision de la famille que nous connaissons à peu près tous. Les moments de tension succédant aux instants de bonheur et inversement mais ici la particularité est que le conflit n'éclate jamais. Sous le poids du silence, les regrets se comptent par dizaines et les occasions de parler se perdent dans le profond émoi suscité par les événements qui auraient pu être une source de rapprochement (l'incendie, le remariage...). On en vient même jusqu'à attendre l'instant où Yoichi se rebellera, montrant son point de vue à ce père qui en fait plus qu'il ne le dit. A ce personnage principal complexe, il faut rajouter le personnage du père et tout un tas de seconds rôles qui vont orienter le point de vue de Yoichi d'une autre manière.

Comme d'habitude, la copie de Taniguchi est parfaite et j'ai même trouvé le trait un peu plus fin que dans les oeuvres précédentes. La sensibilité qui s'en dégage se constate immédiatement et l'idéal de l'auteur parvient à s'exprimer. D'ailleurs, celui-ci s'est inspiré de sa vie pour cette histoire, peut-être la conviction de réaliser un meilleur ouvrage était-elle plus forte mais en tout cas, l'ensemble du travail graphique atteint un potentiel splendide, tout simplement.

Incontestablement, c'est l'oeuvre de Jirô Taniguchi la plus aboutie à ce jour dans laquelle l'auteur a mis une part de lui-même, ce qu'il avait déjà essayer de faire dans Quartier Lointain. Bouleversant, sensible, s'il ne vous arrache pas une petite larme au coin de l'oeil, Le Journal de Mon Père aura au moins le mérite de marquer votre mémoire durablement.