L'Infirmerie après les cours
Manga / Critique - écrit par aonako, le 29/06/2006 (Après l'excellent X-day, Setona Mizushiro nous prouve une nouvelle fois que ses mangas sont gage de qualité. Et c'est d'ailleurs plutôt bien parti pour continuer...
Le problème avec ce genre de titre, c'est que si vous déclarez ouvertement "J'adore L'Infirmerie Après les Cours !" ; on risque bien de vous regarder de travers. En effet, un tel nom évoque bizarrement le téléfilm du dimanche soir de la sixième chaîne. Quoi qu'il en soit, pas de hentaï dans L'Infirmerie Après les Cours, comme en témoigne la couverture : tons pastels, trio douteux, pose langoureuse... nous avons bien affaire à un shôjo manga. Oui, mais pas n'importe quel shôjo, car il est signé Setona Mizushiro...
L'infirmerie après les coursDans quel but certains lycéens seraient-ils convoqués après les cours dans une infirmerie secrète ? C'est la question que va se poser Mashiro Ichijo, après avoir docilement suivi une mystérieuse infirmière dans les sous-sols de l'école. Aucun secret n'échappe à cette dernière et elle a tôt fait de mettre le doigt sur le lourd secret de notre "héros" : bien que d'apparence masculine, Mashiro ne l'est pas complètement puisqu'il est de sexe féminin et qu'il vient d'avoir ses premières règles. Cette double identité est sans doute le problème majeur du jeune lycéen qui se voit confronter à des problèmes existentiels bien plus profonds que la majorité des boutonneux de son âge. Et c'est d'ailleurs pour remédier à cela que Mashiro a été convoqué dans cette infirmerie secrète afin de participer à un cours spécial. Que doit-il y faire ? Affronter ses peurs à travers un rêve commun qu'il partagera avec d'autres élèves. L'objectif ? Trouver une clé sans briser les trois perles de son collier (les perles se brisant avec le choc c'une émotion) sous peine d'être expulsé du rêve et de revenir à la réalité. Chacun retrouvant sa vraie nature dans ce rêve, l'identité réelle de chaque participant est altérée et par conséquent difficile à déterminer. Et même si leur but est le même, les élèves ne se font pas de cadeau pour autant et certains font même montre d'une insensibilité et d'une cruauté surprenantes. Malgré un contexte si peu favorable, Mashiro réussira à se lier bien vite avec une des participantes, Kuréha, dont l'apparente douceur n'est peut-être qu'illusion. Les deux vont d'ailleurs se rapprocher et sortir ensemble. Néanmoins, Mashiro doute encore de lui et les avances intempestives de So Mizuhashi - persuadé qu'il s'agit bel et bien d'une fille - finissent de semer le trouble dans le coeur de Mashiro. Parallèlement, tous les jeudis Mashiro et Kuréha devront affronter leurs peurs et surtout les autres participants : un bras, une armure, une gothique lolita pour ne citer qu'eux. Mais lorsque la nature féminine de Mashiro leur sera révélée, le cours va devenir... bien plus intense qu'il ne l'était déjà.
Difficile de faire un résumé plus concis étant donné la richesse de l'oeuvre. L'Infirmerie Après les Cours regorgent d'ailleurs des multiples éléments qu'affectionnent l'auteur : glauque, psychologie, personnages torturés, questions existentielles et en bonus une petite pointe de fantastique, ce qui ne gâche rien. Les personnages évoluent une fois de plus dans le cadre du lycée qui, s'il ne fait ici office que de simple décor dominant, recèle sûrement bien plus de mystères qu'il n'y paraît. À commencer tout d'abord par l'infirmerie du sous-sol, lieu où les élèves convoqués doivent se rendre une fois par semaine pour leur "cours spécial". Les rêves sont l'occasion d'en apprendre plus sur les personnages mais sont aussi le théâtre de moments aussi émouvants qu'éprouvants. La ficelle narrative repose surtout à travers un personnage central : celui de Mashiro Ichijo, celui (ou celle) par qui tout arrive. De par sa double identité, naît un conflit intérieur qui ne fait que le déchirer à chaque fois qu'il tente d'y apporter un semblant de réponse. La question qui le tiraille surtout est d'ailleurs : ai-je le droit d'aimer malgré ma nature ambiguë ? Doit-il alors continuer à être un homme aux côtés de Kuréha ou assumer son côté féminin auprès de So ? L'auteur réussit ici un vrai tour de force en créant judicieusement un triangle amoureux ambigu dans lequel on peut voir à peu près tout ce qu'on veut (les yaoistes et yuristes en seront ravies). Les personnages secondaires ne sont pas en reste, et même si leurs pensées intimes demeurent pour le lecteur, secrètes, leurs réactions trahissent et démontrent bien leurs émotions. Grâce à eux, chaque tome nous apporte son lot de révélations aussitôt compensées par l'apparition de nouveaux mystères. Setona Mizushiro maîtrise son sujet et s'amuse à nous faire tourner en rond mais on ne demande pas mieux que de refermer le livre, avides de connaître la suite.
Évidement, le travail de Dame Setona ne s'arrête pas là et se prolonge au niveau de son trait qui dessert parfaitement son histoire. Un style reconnaissable de par son esthétique froideur et son côté dépouillé. Les plans habiles accentuent parfaitement les moments forts de l'histoire grâce à un découpage parfois anarchique mais toujours efficace. Quant aux yeux, magnifiques d'expressivité, sont en quelques sortes la signature bien personnelle de l'auteur. Elle s'applique à refléter à travers eux tout un panel de sentiments ce qui rend chaque regard unique et poignant.
Asuka, l'éditeur français, s'applique donc à rendre hommage au travail de la mangaka en réalisant une traduction fluide et une adaptation graphique réussie. Le magnifique logo dont bénéficie L'Infirmerie Après les Cours mérite d'ailleurs une mention spéciale. Petit problème récurrent chez cet éditeur, les pages à l'origine en couleur ont un rendu souvent très moyens et l'encrage apparaît parfois trop sombre sur certaines pages. Ce petit bémol mis à part, le travail d'Asuka reste honnête d'autant que l'éditeur nous ravit déjà du simple fait de diffuser les séries de Setona Mizushiro.
Il y aurait beaucoup à dire sur L'Infirmerie Après les Cours tant l'impression laissée après seulement deux petits volumes est forte. Après l'excellent X-day, Setona Mizushiro nous prouve une nouvelle fois que ses mangas sont gage de qualité. Et c'est d'ailleurs plutôt bien parti pour continuer...