La France dans le Japon - L'avis des éditeurs (8)
Manga / Dossier - écrit par OuRs256, le 26/09/2013C'est la fin de notre dossier et on termine avec l'avis des éditeurs (enfin, ceux qui avaient répondu à l'époque). Ils vont nous dire si, oui ou non, la "French Touch" d'un titre est déterminant dans le choix d'une licence. Faites vos jeux !
Partie 4 : L’avis des éditeurs.
Tous ont eu à répondre à la même question : est-ce que c’est intéressant pour un éditeur français de sortir un manga qui fait référence à la France ?
Stéphane Ferrand, Responsable éditorial, Glénat.
« Non, ce n’est pas une fin en soi. Soyons clair : ce serait indéniablement un «plus» d’avoir un manga qui parle de la France. Mais je pense que cela est surtout valable sur des œuvres seinen. Autour d’un public élargi aux lecteurs non habitués au manga, cela donne un cadre familier qui aide à se plonger dans l’ouvrage. Les Gouttes de Dieu en sont la preuve. Ceci dit, et avant cela, la qualité de l’histoire, de la narration et du dessin restent encore l’incontournable trinité qui est le socle nécessaire à un succès. »
Arnaud Plumeri, Responsable éditorial, Doki-Doki.
« Des références à la France ont été faites dans nos manga culinaires Café Dream et Le Restaurant du bonheur, mais elles ne sont pas le nœud central de l'histoire. Cela pourrait être amusant et intéressant d'avoir un manga se déroulant sur nos terres, mais comme vous le soulignez, encore faut-il que nous trouvions une histoire qui nous séduit. Un manga sur le Tour de France a été proposé il y a quelques années aux éditeurs français, mais il était, à notre avis, en décalage avec les attentes de notre lectorat. »
Laure Peduzzi, Responsable presse, Pika.
« Pour répondre à ta question, ça peut être un plus mais c'est rarement déterminant car souvent les passages en France se déroulent bien après le début de la série (par exemple pour Nodame Cantabile, la série n'en était pas là au Japon quand nous avons acheté les droits en France)
De plus le public français tend à chercher le dépaysement quand il lit du manga, on le sait car on reproche parfois au manga français justement de ne pas être assez dépaysant, du coup ce n'est pas forcément un argument. Donc en gros c'est bien, quand une série est installée en France car ça fait un clin d'œil, c'est apprécié mais pas forcément déterminant pour l'achat de la licence. »
Josselin Moneyron, Responsable éditorial, Kazé manga.
« La question de la représentation de la France dans le manga est intéressante, mais de notre expérience, elle n'a pas vraiment d'effet sur les ventes. Personnellement, nous avons deux séries qui accordent une place importante à la France :
- Le Chevalier d'Eon raconte les aventures d'un chevalier des services secrets de Louis XVI ayant vraiment existé, mais sous un angle fantastique. C'était un gros projet multi-supports de l'auteur Tow Ubukata, et l'histoire commençait dans un roman, basculait dans une série TV (qui a d'ailleurs eu un bon accueil critique) et s'achevait dans un manga en 8 tomes paru chez nous. Le style visuel et les références ésotériques condamnaient d'emblée le manga à un succès d'estime, mais même à l'échelle du projet, qui était un événement au Japon, on n'a pas ressenti chez le public français un intérêt particulier pour le fait que l'intrigue touche à l'Histoire de France.
- L'autre série de notre catalogue qui accorde une place importante à la France est Heartbroken Chocolatier. C'est un shôjo un peu sombre et assez mature sur un jeune homme qui devient chocolatier pour essayer de conquérir la femme qu'il convoite obsessionnellement. La série débute lorsqu'il rentre de France, où il a appris le métier, avec un ami français qu'il a rencontré pendant ses études et avec qui il va ouvrir une chocolaterie du nom de "Choco la vie" (un nom français comme seuls les Japonais en sont capables). L'auteur, Setona Mizushiro, est une fan de chocolat, et elle associe ça et la pâtisserie fine (macarons, etc.) à la France (elle vient tous les ans au Salon du Chocolat de Paris). Du coup, dans le manga, les références à la France sont régulières. Il arrive même que les deux personnages principaux se parlent en français. Mais là encore, ces références n'ont pas éveillé un intérêt plus important de la part du public français.
De mémoire, je dirais que le seul titre à avoir connu un vrai retentissement à cause de ses références à la France, c'est Les Gouttes de Dieu, mais le cas était très particulier. Avant même sa parution en France, des magazines sur le vin ou des revues économiques avaient fait des petits articles sur ce manga qui, au Japon, faisait exploser les ventes des vins qu'il citait. Quand Glénat l'a présenté, non seulement ils ont mis les moyens, mais surtout, ils avaient cette histoire, un vrai truc étonnant à raconter aux journalistes peu mangaphiles, et c'est ce qui a permis d'atteindre la couverture presse et le niveau de notoriété dont le titre bénéficie aujourd'hui.
Je pense que Soleil espérait un effet un peu similaire avec les adaptations en manga des grands classiques comme Les Misérables ou Le Rouge et le noir, mais il semble que ça n'ait pas passionné la presse, et que du coup, les ventes restent moyennes.
Voilà, en conclusion, je dirais que les références à la France font moins vendre en France qu'au Japon, et qu'à moins d'un vrai phénomène là-bas, qui permette d'éveiller l'intérêt de la presse chez nous, ce n'est pas un critère de sélection. »
Grégoire Hellot, Responsable éditorial, Kurokawa.
« Pour répondre à ta question, un manga japonais qui fait référence à la France n'est, à mon sens, pas particulièrement vendeur car pas tellement exotique. De plus, mis à part pour un manga très documenté comme Les Gouttes de Dieu, la plupart des mangas faisant référence à la France ont justement l'image faussée que peuvent en avoir les touristes japonais, ce qui paraît assez aberrant pour les lecteurs français justement... Personnellement, je m'amuse de ces références erronées, mais en aucun cas elles ne sont un facteur décisif dans le choix d'un ouvrage à publier en France. »
Le consensus général est qu'une référence à la France, quelle qu'elle soit n'a pas vraiment d'influence dans le choix d'une licence. Certes, il y aura un petit plus qui fera peut-être sourire les lecteurs ou qui attirera peut-être l'œil et donc la curiosité devant le volume dans les étales mais ça n'ira probablement pas plus loin.
Maintenant, la question est pour vous, lecteurs de Krinein: Qu'est-ce que ça vous fait de retrouver la France dans le Japon ?