Prisonnier Riku - "J'ai pas le temps... Mon esprit... est ailleurs."

/ Critique - écrit par OuRs256, le 09/06/2015

Tags : riku prison esprit ile manga monde gardiens

Si vous réussissez à pardonner mon titre (se souvienne qui pourra), vous allez peut-être découvrir une série qui vous occupera pendant plusieurs heures. Akata est un éditeur qui se fait plaisir en éditant principalement des titres qu’ils aiment et dans lesquels ils voient un certain potentiel commercial (ils ne sont pas non plus suicidaires !). Ils parviennent ainsi à proposer des manga qui font mouche chez une très grande majorité de ceux qui les lisent. Prisonnier Riku, de Shinobu Seguchi est une histoire d’amitié pas banale entre un jeune rêveur et un jeune homme qui a perdu tout espoir en l’humanité.

Dix ans déjà qu'une météorite a détruit Tokyo, séparant la métropole en deux : d'un côté, une ville réservée aux riches, de l'autre, un terrible bidonville, véritable zone sinistrée et de non-droit. C'est là que vit le jeune Riku. Malgré un quotidien difficile, il prend la vie comme elle vient, aux côtés de son grand-père, policier. Mais quand ce dernier est assassiné car il voulait révéler au peuple les magouilles et trafics des grandes institutions, le quotidien du pauvre Riku sera complètement chamboulé… Accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis, on l'envoie dans une prison de haute sécurité, aux côtés de terribles gangsters et autres chefs de gang. Il y devient très vite la tête de turc de ses co-détenus. Pourtant... grâce à sa rage, à son envie de survivre, mais surtout celle de venger son grand-père en dévoilant au monde la réalité du système, il devra trouver en lui la force pour faire sa place au sein de la prison... et peut-être même de s'en évader  ?

Eh oui, Riku est un personnage qui n’a vraiment rien à faire en prison. Difficile d’en douter quand l’auteur met autant en avant les contrastes dans son manga. On le voit dès le départ avec ce personnage principal qui n’a rien fait. Il est innocent, pur et ne cherche qu’à corriger les injustices. Le centre de détention dans lequel il se trouve est l’exacte opposée de son caractère. Ne vous imaginez pas une prison parisienne, avec la télé et la Playstation. Non, loin de là. Riku a été envoyé sur l’île du Paradis (encore un bel exemple d’opposition dans le nom), véritable enfer duquel personne ne peut s’échapper pour plusieurs raisons. Déjà, elle se trouve en pleine mer, à plusieurs dizaines de kilomètres de Tokyo donc impossible de rejoindre la terre à la nage. Elle est aussi quadrillée par un système de caméra qui ferait pâlir le Royaume Uni et pour finir, les gardiens patrouillent selon un rota dont serait fière toute armée digne de ce nom… Tant qu’on parle des gardiens, ces derniers possèdent bien plus de droits que dans une geôle traditionnelle. Ils ne se contentent plus de garder mais plutôt de maîtriser, parfois juste pour le plaisir de frapper. Pas vraiment « gardiens », ils méritent plutôt le nom de « mâtons ». Sur l’île du Paradis, il se retrouve entouré de meurtriers qui ne regrettent aucunement les crimes qu’ils ont commis, qu’ils soient graves ou bénins. Cependant, plutôt que d’en faire des détenus traditionnels, Seguchi pose une question assez intéressante : ont-ils vraiment eu le choix ? On le voit particulièrement avec la cellule dans laquelle se trouve Riku mais tous les prisonniers de l’île ont commis un crime sous l’influence de leur environnement. Lorsqu’ils vivaient dans le bidonville, ces hommes baignaient dans une violence totale et se voyait comme sans lendemains. Riku a eu la chance d’avoir son grand-père mais tous les habitants de la zone sinistrée, séparée de Tokyo par un mur gigantesque, n’ont pas eu le droit au même traitement. Alors oui, cela n’excuse en rien leur comportement au final mais ce petit élément de background revient assez souvent dans les flashbacks du passé des détenus, donnant un peu plus de profondeur au récit du mangaka. Ce dernier insiste aussi beaucoup sur la différence entre Riku et Renoma. Que ce soit par leur taille ou par leur façon de penser, les deux personnages sont diamétralement opposés. Le jeune garçon est petit, enfantin, plein d’espoir, droit et surtout innocent (dans tous les sens du terme) alors que Renoma est un géant, un adolescent (même s’il a un pied voire les deux dans le monde des adultes, il fait toujours partie des teenagers), un criminel, un défaitiste qui n’a plus foi en rien. Ce contraste fait que leur combo marche bien. Cette association originale sera d’ailleurs l’un des moteurs du titre puisque sous l’impulsion de Riku, Renoma va voir sa conception du monde changer du jour au lendemain. 

Prisonnier Riku - "J'ai pas le temps... Mon esprit... est ailleurs."

C’est une force de Riku, le jeune garçon possède un état d’esprit irréprochable et une volonté qui parvient à faire changer les mentalités. Au fil des chapitres, on se rend compte que rien ne peut le faire vaciller. Le match de Rugby sera un peu la démonstration de la droiture de Riku. En fait, il est très probablement l’unique prisonnier de l’île du Paradis (où le Guantanamo chinois) avec des principes apparents. Pourquoi cette nuance ? Tout simplement parce qu’on se rend compte alors qu’on découvre certains personnages qu’ils ont toujours eu des principes, ils les avaient juste abandonnés. Dans le cas de Riku, malgré les coups et même s’il n’a le soutient d’absolument personne autour de lui, il va continuer à se relever, encore et toujours sans perdre de vue son objectif. Evidemment, ce genre de mentalité commencera à faire quelques étincelles et devant tant de ferveur, certains prisonniers commenceront à se poser des questions. En fait, la motivation du jeune garçon va très rapidement s’avérer contagieuse. Les autres membres de la cellule vont l’accepter comme membre à part entière et commencer, petit à petit, à changer, à retrouver le caractère qu’ils avaient dans le bidonville, à s’assagir quelque peu. Après, il ne faut pas oublier qu’ils restent en prison et donc qu’ils doivent protéger leur territoire et survivre tant bien que mal. Cependant, on notera beaucoup moins de coups fourrés alors que Riku continue à « faire son nid » dans la cellule. Même en dehors, la plupart des prisonniers qu’il rencontre change, touchée par la naïveté du jeune homme dans un monde où la pitié et la compassion n’ont plus vraiment leur place.

Prisonnier Riku - "J'ai pas le temps... Mon esprit... est ailleurs."

Ce monde dévasté, Shinobu Seguchi nous fait bien comprendre qu’il a déraillé quelque part dans un titre qui n’a rien d’un manga d’anticipation politique. La catastrophe n’est utilisée que pour mettre en place la prison et c’est un message humain plus que politique que l’auteur veut nous faire passer. Que ce soit via l’omnipotence de la police qui a tous les droits ou encore via l’isolation des gens du bidonville en mode ghetto, il y a quelque chose de pourri dans le Tokyo d’après la météorite, comme si une catastrophe avait perverti le coeur des gens. Cette séparation rend les différences de richesse plus apparentes et va diviser les gens. Ainsi, c’est une véritable lutte des classes qui commence avec des riches qui vont tenter de tout garder en isolant les pauvres et en les traitant comme des moins que rien, les poussant à des situations extrêmes. Le gouvernement ne va pas vraiment aider. La corruption est à la mode et personne n’est digne de confiance. Le préfet de police est d’ailleurs l’ennemi numéro 1 pour Riku puisque c’est lui qui a tué son grand-père. Kidôin ne veut d’ailleurs pas s’arrêter là. Contrôler les forces de défense du pays ne lui suffit pas, il veut aller plus loin, toujours plus loin et ce, au détriment des autres, ce qui en fait un personnage machiavélique par excellence. Riku risque de se casser les dents plusieurs fois avant d’arriver à le faire vaciller…

Prisonnier Riku - "J'ai pas le temps... Mon esprit... est ailleurs."

Akata a misé sur le bon cheval pour dynamiser sa collection shônen. Prisonnier Riku est un titre intense, un manga prenant dont il est difficile de se détacher une fois ouvert. Le personnage principale, d’une innocence et d’une naïveté inouïes, contraste fortement avec l’univers apocalyptique dans lequel il vit et évolue. La prison fonctionne comme un cadre parfait pour limiter un champ d’action bien déterminé et permettre ainsi à son auteur de gérer le rythme de son histoire à la perfection grâce à des « moments » routiniers bien installés comme l’heure du repas ou encore les promenades autorisées. Le titre de Shinobu Seguchi a vraiment tout pour plaire et je serais prêt à parier qu’une fois plongé dedans, vous ayez du mal à ne pas vous laissez tenter par les suivants.