6.5/10Peach Girl

/ Critique - écrit par Jade, le 04/02/2006
Notre verdict : 6.5/10 - Une pêche dans un mixer (Fiche technique)

Tags : manga girl peach ueda miwa momo tome

Dans la vie, au Japon, il y a des filles blondes et bronzées. La société n'aime pas ces filles blondes et bronzées. Elle les stigmatise, devant l'absolu, comme étant à proprement parler des filles de petite vertu. En effet, dans une société où les conventions sociales sont des murs sociaux qu'il ne vaut mieux pas tenter d'escalader, les filles blondes et bronzées sont, aussi rapidement que la foudre atteignant le joyeux bûcheron truculent au fond de la forêt se brossant les dents, assimilées à ces jeunes lycéennes qui vendent leur corps afin de faire subsister leur collection de produits de luxe.

Peach Girl
Peach Girl
Mais Momo Adachi est une fille blonde et bronzée pas comme les autres. Elle est gentille et innocente. Elle est secrètement amoureuse de Tôji (que nous appellerons, pour des raisons dialectiques, Krostoff), un ami d'enfance. Leur relation naissante et déjà tumultueuse sera ébranlée par des canaux extérieurs, et à l'échelle interne, par la légendaire ineptie de Krostoff. Ainsi, Sae (que nous appellerons, pour des raisons tantriques, Crakën), amie un peu faux-cul sur les bords et même au-delà des bords (et, qui sait ? Peut-être même encore plus loin, transcendant ainsi la notion même de faux-cul !!!) qui fera tout pour briser leur union idyllique.

Car, effectivement, Crakën est, à l'intérieur, une fille blonde et bronzée ; une fourbesse pervertie par un matérialisme rutilant, dont l'avatar capitaliste s'exprime avec une fougueuse intensité dans la société nippone. Pourrie, Crakën l'est jusqu'au bout des ongles, car elle n'a jamais appris à n'avoir d'égard qu'à son identité propre et à ses référents extérieurs. En l'occurrence, sa sensibilité à l'égard du regard des autruis autour d'elle la pousse à se camoufler derrière une apparence trompeuse de bienséance et d'innocence. Ce reflet erroné d'un karma destructeur, possessif et immature cache au cosmos sa véritable nature en tant que telle. Crakën, perdue par son absorption à l'intérieur de sa propre identité, est trop emmurée dans sa matrice mentale égocentrique. Elle se révèle inapte à extérioriser de quelconques sentiments sincères tournés vers autre chose que son propre soi-même. Il faut alors insister sur la puissance et le rôle que jouent les métastases idéologiques répandues par le consumérisme qui glace tel un glaçon géant les coeurs les plus brûlants d'exaltation transcendantale. Car, en effet, par delà le glaçon, il y a l'Arctique des sentiments, une mer qui sépare inlassablement Crakën de toute humanité viable. La douce mégère n'a d'actes que pour rendre jalouse son amie Momo et ainsi supplanter son bonheur.

Un tel profil dénote assurément des connivences sataniques dignes d'un grand méchant loup dans un mixer. Tout comme son homologue canin, Crakën cumule d'une part une dimension profonde et réaliste parlant un langage pierreux, celui des entrailles les plus profondes des recoins de l'âme humaine. D'autre part, elle représente une resucée des thèmes manichéens dont elle incarne l'aspect vil et ténébreux. Le brouillis des facettes se fait au bénéfice de la seconde, qui s'étend dans des dédales complexes d'identités brumeuses pour n'en ressortir qu'en étouffant la première.
Ainsi, voilà que l'un des acteurs de ce néo-drame, malgré une noble et réussie tentative d'osmose entre archétype et dynamique humaine, devient, sans doute par ses actes, la représentation juvénile du MAL. Que faire, que dire encore, face à tant de MAL ? Un seul antidote est connu de nous pour endiguer les effets d'un tel cercle dévastateur : le BIEN. D'où vient-il, quel est-il ? Il ne nous incombe pas de répondre à de telles considérations, touchant largement par nature la sphère de l'existentiel. Cependant, en restant à la lumière de notre oeuvre, il n'est que de constater la pâleur excessive de certains personnages, dandinant leurs apparats psychiques estompés d'un bout à l'autre de l'oeuvre.

Ce simulacre de vie quotidienne n'irriguera que les esprits transis par les horizons bourbeux, néfastes et romantiques vaporisés par Miwa Ueda. Hurlant sa douce mélodie diluvienne, Peach Girl fait de ce qu'est son essence sa plus grande arme mais aussi son plus redoutable marasme. Car si ce manga n'est pas forcément con, il faut bien dire ce qui est : appelons un chat un chat et disons bel et bien, haut et fort sur tous les toits de la ville en liesse et en délire extasié que le dessin, les dialogues et autres supputations primaires du même ordre font perdre toute la crédibilité emmagasinée par les supputations secondaires et tertiaires que sont les messages sociaux et humains d'une jeunesse japonaise et dépravée fondée sur l'apparence et des codes stricts et hypocrites comme l'est Crakën, qui représente en quelque sorte l'élève japonais modèle.

S'il ne fallait retenir qu'une seule chose de ce manga, c'est sans nul doute sa quintessence burlesquement absurde, qui verse, dans une amphore aux allures gargantuesques et effilochées de toutes parts, l'originel postulat d'une fringuante gargarisation de l'âme humaine. Cette saga déboutonne et déshabille le sempiternel qui s'empare du rubicon social sylleptique atteint par l'infamie spirituelle. Mais est-ce qu'au delà de telles assimilations perdues, nous pourrons destituer fatalement l'aporisme crémeux et délateur d'une mission perpétuelle et catalytique de l'envers masqué ? Dans la clepsydre momentanée et crapottante, s'insinue l'entier genre humain, certes décontenancée par la turpitude d'une valse à trois temps et d'un genre qui est sien entre tout autre. Mais, malgré toute différentiation plurielle et post-embryonnaire, la vie de ce manga suppure dans un caveau vénal d'une destinée hantée par le tapir flamboyant de la colère rougeoyante et irraisonnable. De cette conception brechtienne, désaxée dans toute ses mandibules retorses, émane une abstraction teintée d'ego traduite par les paroles de Momo même : 'Je... Me... Je... Je...'.