Pandemonium - Bienvenue chez les parias !

/ Critique - écrit par OuRs256, le 25/06/2015

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La collection Latitudes de Ki-oon se remplit doucement mais sûrement et l’éditeur prend soin de dorloter chaque titre qu’il place dans son grand format. Avec « Pandemonium », on obtient un récit qui semblait s’adresser à un public plutôt enfantin mais qui se révèlera être bien plus complexe qu’à première vue.

“Ceux qui hantent le ciel”… A la simple évocation de ces êtres supérieurs qui déchaînent sur terre des catastrophes naturelles aussi imprévisibles que meurtrières suffit à faire frémir les plus braves. La rumeur veut qu’ils aient élu domicile au nord d’une ville côtière, sur des terres inexplorées et entourées de falaises vertigineuses que nul n’ose approcher… C’est pourtant à leur rencontre que se dirige Zipher, transportant sur son dos le cercueil qui contient la dépouille de sa défunte petite amie… Pour lui, c’est certain, les mystérieux magiciens entendront ses suppliques et ramèneront sa dulcinée à la vie. Quand, épuisé, il s’écroule à l’approche de sa destination, il est recueilli par Domika, une des habitantes du village qui l’a pris en pitié. À son réveil, Zipher doit se rendre à l’évidence : en guise de miracle, c’est une détresse plus grande encore que la sienne qui l’attend dans le village des sorciers…

Pandemonium - Bienvenue chez les parias !

Première chose que l'on remarque une fois l'ouvrage en main : l'univers graphique est sublime. Ce petit bijou graphique possède un jeu de couleurs particulièrement travaillé qui ne sont pas sans rappeler l’automne. Les jeux de luminosité m’ont un peu rappelé la manière d’Asada représente ses saisons dans Letter Bee, des couleurs claires qui sont mise en avant par des effets de lumière saisissants. Dans Pandemonium, on reste dans un ton marron/orangé qui laisse planer une certaine mélancolie sur l’histoire de Zipher, un peu comme si l’on nous racontait une histoire d’où la tristesse ne s’en va pas. D’ailleurs, l’auteur prend le temps de dérouler puisqu'il met la moitié du premier volume à nous révéler les véritables intentions du héros en insistant (peut-être un peu trop) lourdement sur les motivations du chat. Evidemment, ce n'est pas très bien vu par les habitants du village qui ont vraiment du mal à se faire à la présence d'un étranger parmi eux mais ce dernier n'en démord pas, un peu comme quand un nouvel élève débarque dans une classe et qu’il a assez de caractère pour tenter de s’imposer dans un groupe déjà formé (et donc éviter l’ijime, tout ça, tout ça…). 

Derrière son histoire émouvante, Pandemonium est un manga qui parle de mise de ban, de marginalité. Le monde créé par l’auteur se veut réaliste. Les intrigues politiques ont une place importante dans l’histoire et même si le contexte proposé est un peu fantastique, on ne s’éloigne jamais vraiment de situations très terre à terre. Les sentiments des personnages en sont la preuve : qui n’a jamais rêvé de ressusciter un être cher ? Malgré leur aspect animal, les personnages de Shibamoto sont clairement humains. Ils pensent comme des humains et font les mêmes erreurs que des humains. Ce village où se massent les animaux « différents » est un pur fruit de la peur de ce que les habitants du monde de Pandémonium ne connaissent pas bien. Pour faire simple, c’est le racisme qui a mené à la création du village et le chef l’explique crument : ils sont des parias, des exilés du monde qui n’avaient nulle part où aller pour ne pas subir les brimades incessantes des « gens normaux ». L’auteur se permet ainsi une petite leçon de vie, juste de quoi faire réfléchir un peu les adultes et piquer la curiosité des plus jeunes qui n’hésiteront pas à demander à leurs parents: « Mais il est gentil le chat, pourquoi ils lui disent tous de partir ? Juste parce qu’il lui manque un oeil ? ».

Le fond possède des qualités indiscutables et il en est de même pour la forme. L’édition de Ki-oon est remarquable à plusieurs niveaux. Le papier épais et la grande taille donne une saveur toute particulière aux pages couleurs de l’oeuvre et nous offrent des doubles pages tout simplement magnifiques. On sent un très bon travail d’adaptation avec des niveaux de langues variables selon les personnages. Aussi étonnant que ça puisse paraître, certains traducteurs (qui font aussi l'adaptation) trouvent ça normal de faire parler un petit enfant comme un adulte du XVIIIe siècle (bon, il y a des cas où ça passerait mais bon…)… Comme dit un peu plus haut, la couleur apporte un vrai plus pour faire passer les sentiments des personnages au lecteur. L’intensité de la lumière étant un bon indicateur de l’état psychologique de Zipher. Plus il sombre dans le désespoir et plus les teintes cuivrées tirent vers le rouge/marron foncé alors que son retour en grâce fait revenir la lumière et les couleurs claires. 

Au final, l'oeuvre de Sho Shibamoto est assez difficile à ranger dans une catégorie bien précise. Que ce soit au niveau du fond ou de la forme, on se trouve à mi-chemin entre le conte et la bande-dessinée (il y a une part de morale mais aussi un peu d’action et d’aventure). Les personnages évoluent de manière structurée et intelligente dans un monde qui n’est pas vraiment le nôtre mais qui nous fera réfléchir sur les actions de notre société. L’histoire est belle mais aussi très triste et même si la fin apporte un peu d’espoir, le destin de Zipher aura été teinté de malheur. Pandemonium, de par son histoire et ses personnages touchants est un titre que l’on ne peut que vous recommander chaudement. Avec seulement deux tomes, vous pouvez même vous l’offrir directement dans son intégralité.