8.5/10Nuit de noces

/ Critique - écrit par OuRs256, le 16/04/2013
Notre verdict : 8.5/10 - Poésie à la campagne (Fiche technique)

Tags : nuit mariage noces hotel chambre romantique decoration

Nuit de noces
Innocence, quand tu nous tiens...Avec cet album en couleur spécialement conçu pour Casterman au format d’une bande dessinée franco-belge, le grand auteur coréen Kim Dong-Hwa approfondit l’exploration d’un thème qui lui est cher, et dans lequel il excelle : l’intimité des femmes. Dans ce récit d’une nuit de noces à la campagne, il célèbre avec délicatesse une certaine douceur de vivre rythmée par la nature et les saisons, à travers le destin d’une jeune mariée tout juste sortie de l’enfance, Bunnae, qui est aussi la narratrice de l’histoire. À la façon d’un documentaire sur les traditions populaires, on y retrouve tout le folklore et la poésie des mariages d’antan, manière pour le dessinateur d’exprimer sa nostalgie d’une Corée champêtre et insouciante aujourd’hui presque disparue, mais aussi, sans détour et sans fausse pudeur, l’évocation d’un éveil à la sensualité. Simplicité et finesse du trait, dialogues ciselés comme des poèmes en prose : une sincère ode à l’amour doublée d’un émouvant portrait de femme.

Casterman (alias Sakka quand on parle de manga) a le chic pour trouver de jolis titres, émouvants et souvent plus adultes que la moyenne. C'est parfaitement le cas de ce Nuit de noces qui nous arrive tout droit de Corée. Déjà, l'objet est assez particulier puisque le choix s'est porté sur un format franco-belge (même au niveau du papier), ce qui est plutôt rare pour une oeuvre asiatique (sauf quand il s'agit de livres pour enfants comme les titres de chez Nobi Nobi par exemple). Il faut avouer que c'est assez étrange une fois en mains, puisque l'on se retrouve avec un format connu, un style de dessin connu mais... une association pour le moins étonnante.

Le grand format permet de mettre en valeur tout le talent de Kim Dong-Hwa, et si vous doutiez encore de lui, regardez la première double page de l'ouvrage, où il nous offre une pluie de mots (dans tous les sens du terme) somptueuse. D'ailleurs, chez lui, les couleurs ne font pas tout, et il n'est pas rare de voir le noir et blanc faire incursion dans le monde de Bunnae. Tout d'abord, lorsqu'elle perd son mari, mais aussi lorsqu'elle se sent seule ou que son humeur s'y prête. Le contour blanc laissera ainsi place à une texture beige après le tragique événement, comme pour nous indiquer qu'une nouvelle étape de la vie de Bunnae a été franchie. L'auteur se permet aussi de se passer de mots à plusieurs reprises, et à juste titre, puisque ses dessins réussissent à parler d'eux-mêmes, à nous faire voir des choses presque au-delà des mots. 

Même si le titre peut suggérer une focalisation sur la nuit qui vient après le mariage, force est de constater que c'est assez trompeur. Nuit de noces parle surtout d'une femme, Bunnae, jeune et encore traditionnelle. On la suit alors qu'elle part à la découverte de l'inconnu, encore jeune fille et pleine de bonne volonté. Elle va se rendre compte que la vie de femme n'est pas de tout repos, mais surtout on ne va pas la voir très longtemps avec son mari. La vie suivant son cours, elle va le perdre et va apprendre à vivre avec le veuvage. Heureusement pour elle, alors que les saisons passent, il semble que quelqu'un veille sur sa personne. Cette transition d'un mari à l'autre est amenée d'une manière qui nous rappelle un temps qui n'existe probablement plus (allez demander à Lady Gaga ce qu'elle en pense), une époque où c'est l'innocence qui primait. Comme quoi, l'amour peut commencer par des choses aussi simples que la réparation d'une toiture (ah tiens, ça me rappelle autre chose ça...). 

Casterman nous propose avec Nuit de Noces une oeuvre atypique, à la frontière entre la nouvelle graphique et la bande-dessinée. Les codes des deux genres se mêlent habilement pour nous conter l'histoire d'une femme à deux moments cruciaux de sa vie. Les amateurs de belles oeuvres se laisseront tenter sans aucun doute.