Le Micmac de l’été #9 - « Aujourd’hui… Nous rentrons dans l’histoire ! »

/ Critique - écrit par OuRs256, le 10/08/2015

L’Histoire avec un H, c’est souvent laissé à l’école. Pour les gens qui aiment, c’est peut-être un peu dommage. Qu’à cela ne tienne, les éditeurs de manga se sont ligués pour que ça change et il faut avouer qu’on a du bon… du très bon même !


Ad Astra 5 & 6 (Ki-oon) : Hannibal prend l’Histoire en main.

Dans le cinquième volume des histoires de combat d’Hannibal et Scipion, on suit la préparation de la bataille de Cannes, qui, comme tout le monde le sait, a débouché sur la victoire de *****. Oups, j’oublié que tout le monde n’était pas aussi féru d’histoire que votre serviteur ! 

Bref, je ne donnerais donc pas l’issue de la bataille mais une chose est sûre, c’est la stratégie qui sera au centre de la réflexion. Alors qu’Hannibal cherche à bloquer les romains qui sont en surnombre, le camp de Scipion va plutôt tenter de déjouer le plan de son ennemi en se basant sur des expériences de combat précédentes. Manque de chance, le borgne ne considère aucune de ses précédentes stratégies comme aboutie ou même efficace… 

La façon dont Mihachi Kagano organise son récit fonctionne toujours aussi bien. En effet, on peut déceler l’état d’esprit des deux armées rien qu’en appréciant le nombre de pages qui leur sont consacrées. Il n’y a que très peu de planches illustrant ce qui se passe au camp d’Hannibal, preuve d’une sérénité et d’une confiance total en son plan et ce, malgré le surnombre créé par le camp adverse. 

Chez les romains, on voit des divergences dans le petit groupe décisionnaire et le consul passe pour un parfait imbécile aveuglé par la soit-disant supériorité romaine et avide de combat… Ce dernier est prêt à jeter son armée par simple fierté… Bref, ce cinquième tome est bien mené et la bataille qui commence à la fin intense. Difficile de lui en demander plus !

Dans le sixième opus, le combat se termine. Grâce à la stratégie d’Hannibal, la bataille devient un véritable fiasco pour les Romains qui sont assaillis de toute part. La stratégie aura donc prévalu sur le nombre et la toute puissance de Rome en aura pris un sacré coup. 


Après une telle défaite, impossible pour Scipion de ne pas se remettre en question. Le jeune homme ne sait plus vraiment comment faire pour combattre son impuissance. Ce n’est pas comme s’il était idiot ou que ses idées ne valaient rien. Non, loin de là. En fait, lorsqu’il a tenté de renverser la situation, il s’est vite rendu compte qu’il manquait d’autorité sur le champ de bataille, qu’il n’avait pas le pouvoir nécessaire pour faire bouger les choses comme il l’entendait. C’est pour cela qu’il se donne quelques années (moins d’une dizaine) pour devenir consul (rien que ça) et ce n’est qu’alors qu’il tentera de battre Hannibal, si jamais ce dernier n’a pas été battu avant…

Eh oui, Scipion n’est pas le seul à avoir réalisé son impuissance, les dirigeants romains ont aussi essuyé une cuisante défaite et commencent à s’inquiéter de l’importance prise par Hannibal. Un peu à la manière du slogan « Le changement, c’est maintenant » (grand réussite d’ailleurs…), ils décident de sévir et de tenter quelque chose de dangereux. Ils donnent l’autorité nécessaire à un véritable montre de guerre pour diriger toute une armée contre les Carthaginois… Une ère de brutalité et de violence commence donc à Rome…

Avec ce sixième tome, de nouvelles choses se mettent en place du côté des Romains qui n’en peuvent plus de perdre. Toujours servi par un graphisme somptueux, la narration n’est nullement négligée et les personnages de Mihachi Kagano continuent à évoluer, à leur rythme.

Innocent 2 & 3 (Delcourt) : « Qu’on lui coupe la tête ! »

Alors que nous suivions plus les déboires d’un jeune garçon dans le premier tome, le deuxième vient enfin nous présenter le bourreau. La première expérience de Charles-Henri Sanson sur l’échafaud est un véritable carnage : il ne vise pas bien, s’y reprend plusieurs fois, continue à entailler le corps une fois l’exécution terminée, se fait huer par le public qui en profite pour lui envoyer des tomates… Un véritable fiasco ! Alors oui, compte tenu de ce que l’on a vu de lui, on pouvait facilement s’y attendre. Shin’ichi Sakamoto nous le fait d’ailleurs très bien comprendre : Charles-Henri n’est pas prêt, que ce soit physiquement ou psychologiquement, le personnage principal est faible. 

Avec sa façon de penser qui diffère totalement de celle de sa famille, il ne sait pas vraiment comment appréhender cette action qui consiste à prendre la vie que sa famille exécute depuis plusieurs décennies. Après tout, il n’a que 14 ans, c’est encore un ado qui se cherche, qui ne sait pas vraiment ce qu’il veut faire, qui n’est pas prêt à prendre en main l’héritage familial, le symbole qui fait de la famille Sanson ce qu’elle est. 

Cependant, ce raté aura des effets positifs. Le déclin de son père aura le mérite de lui faire comprendre que s’il ne veut pas se faire évincer par sa grand-mère, il va devoir prendre une décision et c’est ce qu’il fait. Il est très rare de voir un personnage de Sakamoto changer aussi vite mais en quelques pages, Charles-Henri se retrouve métamorphosé. Il est décidé, constant dans son travail et se trouve maintenant considéré par tous comme le « Monsieur de Paris », le bourreau officiel de la monarchie. 

Pourtant, il est loin d’avoir perdu cette humanité qui le caractérisait dans sa jeunesse. Il parvient à exécuter les condamnés de manière rapide et, quand c’est possible, de la manière la plus indolore qui soit. Il fait preuve d’une miséricorde dans ses exécutions que les plus observateurs ont remarqué (on pourrait presque dire qu’il s’est constitué un petit fan-club grâce à ça…) et qui nous montre que sa part d'humain n'a pas encore totalement disparu et ce, malgré les fourberies de son père (qui n'est plus qu'un légume mais soit) et de sa grand-mère.

Dans un autre registre, le tome 3 est, pour moi, celui de la consécration pour Charles-Henri. On le voyait se transformer dans le tome 2 et le résultat n’apparaît que maintenant. Il se retrouve à devoir pratiquer un écartèlement sur un homme (qu’il avait recueilli précédemment afin de tenter de soigner son fils) qui a attenté à la vie du roi. 

Pour ceux qui ne connaissent pas cette « joyeuseté » qu’est l’écartèlement, on attache, via une corde, un cheval à chaque membre du condamné et on les fait courir dans des directions opposées jusqu’à entendre un certain déchirement. Evidemment, comme si ça ne suffisait pas, on pratique des incisions à des points stratégiques de chaque membre que l’on remplit de métaux ferreux liquéfiés avant que les chevaux ne fassent leur office. Personne ne peut dire qu’on ne savait pas s’amuser avant, n’est-ce pas ? 

Ce troisième opus, en plus de nous en apprendre un paquet sur la pratique de l’écartèlement (histoire que vous puissiez briller en société), va venir étoffer un peu le background de la famille Sanson. Puisque, comme tout le monde sait, l’écartèlement est une affaire de famille, l’oncle de Charles-Henri qui est l’exécuteur de Reims va venir lui prêter main forte. Sakamoto nous emmènera ainsi dans une histoire de jalousie familiale face à cet homme qui a gardé son âme d’enfant, frustré d’avoir toujours été le second dans le coeur de sa mère.

Eh oui, il ne faut pas oublier que la famille Sanson est une famille noble de l’époque tout ce qu’il y a de plus classique. L’aîné rafle donc les meilleures choses et les autres récupèrent les miettes. On le voyait déjà un peu avec les frères et soeurs de Charles-Henri qui sont promis à des postes d’exécuteurs à travers la France tandis que le jeune garçon est sans-cesse impliqué dans le « futur de Paris ». Dans le cas de son père et de son oncle, c’était exactement la même chose. Leur mère les a conditionnés toute leur vie pour qu’ils continuent dignement la lignée des Sanson, l’un comme l’autre même s’il n’y en avait qu’un qui pouvait devenir « Monsieur de Paris » et que la place était attribuée dès la naissance…

Charles-Henri va savoir passer outre toutes ces querelles et ces considérations. Quand il comprend ce que son oncle a fait, quand il le voit perdre son sang froid au moment de l’exécution, il ne va montrer aucune rancune. Au contraire, il va faire preuve de cette compassion qui le caractérise. Plutôt que d’enfoncer son oncle et de le mettre dans une situation dont il ne serait pas sorti indemne, il va l’aider en faisant le travail que l’on attend de lui, celui d’un bourreau, celui du « Monsieur de Paris ». 

En fait, si le tome 2 était l’histoire d’une transformation, ce troisième volume est celui d’un avènement. Le bourreau Charles-Henri Sanson tel qu’on le connaît est né sous la plume de Shin’ichi Sakmato qui nous propose une fois de plus un volume d’une qualité graphique exceptionnelle. 

Jabberwocky 3 (Glénat) : N’est pas dinosaure qui veut. 

Ce troisième tome des aventures de Lily et Sabata se fait en deux temps. On commence par la fin de l’histoire du sauvetage de Mao Tsé-Toung. En quoi est-ce qu’elle est importante ? Eh bien, la discussion entre Cixi et Lily nous montre un trait de caractère intéressant de la jeune anglaise : sa capacité à aller de l’avant. 

Malgré les avertissements (elle lui lit le « futur » qui attend Mao avec tous les événements pour lesquels il est tristement célèbre) du dinosaure qui se dresse face à elle pour s’occuper du bébé, Lily décide de le sauver. Elle ne veut pas être celle qui se laissera influencer par la « tradition » ou par une quelconque prédiction. Pour changer et pour se sentir vivante, elle a besoin de compléter ses missions afin de pouvoir rester aux côtés de Sabata. 

Sa relation avec son partenaire sera d’ailleurs développée dans la deuxième partie du volume qui verra Masato Hisa revisiter complètement le mythe de la guerre de Troie (et y inclure des dinosaures évidemment !). L’auteur fait ça à sa sauce et pose tellement ce qu’il dit pour des évidences qu’on en vient presque à se dire « Hum… Oui, les grecs, c’était trop des dinosaures en fait ! ». Il donne aussi un rôle plutôt sympa à Schliemann, personnage secondaire qui est d’ailleurs le vecteur principal de ces nouvelles théories sur la guerre de Troie (je vous laisse le plaisir de découvrir qui est devenu dinosaure). 

Fidèle à son style, Hisa n’hésite pas à inclure quelques gunfights bien sentis avec des ennemis qui viennent en groupe de personnages qui possèdent le même nom de code. En résultent des dialogues plein d’humour qui viennent s’insérer aux moments les plus adéquats pour ne pas casser le rythme mais, au contraire, le sublimer. 

Jabberwocky est une série où il n’y a rien à jeter. Le scénario est bien pensé, la mise en scène théâtrale à souhait (les entrées de Sabata sont exceptionnelles) et le style graphique minimaliste en font un petit bijou qui mérite d’être lu… et relu… encore… et encore !

Le Requiem du roi des roses 2 (Ki-oon) : Richard III met le passé à feu et à sang. 

Richard est en proie à ses démons intérieurs représentés par notre Jeanne d’Arc nationale et force est de constater qu’il commence à devenir un peu fou. Alors qu’il tente de rejoindre son père à York , il va faire l’expérience du combat en conditions réelles et découvrir les horreurs du champ de bataille et de la mort. 

Alors que dans la première partie du volume, Richard est plus introspectif, plus hésitant, ce passage guerrier lui fera prendre conscience de ce qu’il veut vraiment devenir et la mort de son père ne fera que renforcer la haine qu’il porte en lui. 

C’est ainsi que dans la deuxième moitié, on se rend compte qu’il peut être aussi monstrueux qu’on le connaît avec un goût prononcé pour le combat et surtout pour le meurtre de ses adversaires. Il virevolte presque de cadavre en cadavre, c’est dire. 

Aya Kanno en profite d’ailleurs pour explorer une facette de son personnage qu’elle n’avait pas encore mise en valeur, à savoir son talent guerrier. Richard III était un excellent combattant qui servait réellement en combat. On le voit ici exprimer tout son talent lors d’un combat qui le fera apparaître clairement comme un futur meneur, lui qui était encore timide et réservé il y a quelques pages. 

Ce tome se place donc sous le signe de la métamorphose et la narration dynamique d’Aya Kanno vient sublimer le changement qui s’opère chez le futur monarque. Sachant qu’elle a terminé son « prologue », on va pouvoir passer aux choses sérieuses !

Les Misérables 1 & 2 (Kurokawa) : Qui aurait cru que Jean Valjean pouvait être aussi classe ?!

L’histoire, hmm.. tout le monde la connaît non ? Bon tout le monde connaît au moins les personnages : Jean Valjean, Fantine, Javert, Cosette, les Thénardier… Toujours rien ? Allez lire notre article de vendredi bon sang !

Du premier au deuxième tome, le changement dans la vie de Jean Valjean est flagrant, un peu fou même. On le découvre père de famille aimant, incapable d’accepter son impuissance face à la faim de sa famille. L’homme a disparu et c’est un lion qui apparaît aux yeux des gens. Tout est fait pour faire comprendre au lecteur que le Valjean sorti du bagne fait peur à tout le monde… sauf à Monseigneur Bienvenu qui va lui montrer que certains hommes sont toujours bons et lui faire retrouver un peu de lumière. 

Le changement chez Valjean est purement psychologique. Mise à part sa coupe de cheveux et sa barbe qui varie plus ou moins selon sa pauvreté, il ne devient pas plus maigre, ne change pas de carrure… Tout se passe dans sa tête, chose qu’Arai illustre parfaitement, très souvent en arrière plan avec des pensées matérialisées à travers une imagerie forte. 

Au contraire de Jean Valjean, le changement de Fantine n’est pas psychologique mais plutôt physique. On la découvre fraîche, belle, pimpante et doucement, étape par étape, sa vie et son corps vont se dégrader. Sans ses dents et ses beaux cheveux blonds, Fantine ne se voit plus comme une femme, elle ne se voit même plus comme un être humain. Elle est prête à tout pour gagner de l’argent et se livre dans son plus simple appareil au plus offrant. La jeune fille de la haute n’est plus et reviendra plus. 

Au final, ces deux premiers tomes donnent parfaitement le ton de la série qu’Arai a en tête : une oeuvre proche de l’originale niveau contenu, avec des personnages denses et forts qu’il sera difficile d’oublier, et qui privilégie une narration lente, descriptive (imagerie très diversifiée) afin que le lecteur puisse découvrir l’oeuvre d’Hugo. En effet, Les Misérables est une excellente introduction au roman de Victor Hugo, parfaite pour tenter d’intéresser les plus jeunes à ce monument de la littérature française.