Le Japonais du manga - Petit OVNI culturel des éditions Assimil et des éditions Kana

/ Critique - écrit par OuRs256, le 29/05/2015

Tags : editions manga france livre japonais paris jeunesse

Le professeur de langues que je suis l’a remarqué dès le titre : le petit ouvrage que vous tenez entre les mains n’est pas un manuel de langue et il n’en a aucunement la prétention. Le titre de Shima Kadokura et de Misato Raillard est un produit culturel sur fond de langue, illustré par Junko Kawakami. Krinein a rencontré les trois auteures lors du Salon du Livre cette année, de quoi agrémenter la critique du livre de la vision de ses créatrices.

Le Japonais du manga - Petit OVNI culturel des éditions Assimil et des éditions Kana

Le Japonais du manga n’est pas une méthode de langue, c’est un ouvrage dont le but est de faire découvrir des termes spécifiques à une industrie : celle du manga et de l’édition. Du travail de l’auteur à celui du tantôsha (éditeur personnel attitré qui épaule le mangaka dans sa démarche) en passant par celui de la maison d’édition, rien n’a été oublié. Le combo Kadokura pour l’aspect journalistique et Raillard pour le côté linguistique fonctionne particulièrement bien sachant que cette dernière est, en plus, épaulée par un professeur de langue japonaise pour quelques anecdotes et techniques supplémentaires. 

Lors de la lecture, on se rend compte de la visée internationale du titre. Avec un peu d’adaptation, ce titre pourrait facilement être utilisé au Japon. D’après Misato Raillard, leur éditeur leur « a proposé de travailler sur un livre de termes japonais liés au monde du manga que même les Japonais ne connaitraient pas » même si, en réalité, les trois auteures « n’avaient pas du tout pensé que ça puisse être vendu au Japon ». Le Japonais du manga fourmille de petits détails qu’un Japonais moyen ne connait probablement pas, de par leur côté technique très poussé. On le sait en France grâce à Bakuman, le monde de l’édition au Japon est particulièrement bien organisé et très codifié. Le Japonais du manga est donc un bon moyen de parfaire ses connaissance sur le sujet, Shima Kadokura le connaissant très bien puisque ses nombreuses connaissances professionnelles lui ont permis d’avoir « des données riches et une vision claire du monde de l’édition afin de pouvoir l’expliquer, de le schématiser et de le simplifier pour le plus grand nombre ».

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce n’est pas forcément la composante langue qui a poussé le partenariat avec Assimil. Déjà, l’éditeur faisait partie de cette maison d’édition et surtout, « le public des éditions Assimil est, en général, un public de curieux » d’après Shima Kadokura, « qui peuvent aimer le Japon mais pas forcément le manga, il y avait donc une ouverture pour faire connaître le manga à un public différent et donc toucher un autre public ». De plus, Misato Raillard a vu une aubaine pour répondre aux questions de nombreux fans de manga grâce aux parties sur la vie des mangaka, leur façon de travailler. Elle nous a même confié que c’était « ce que les gens demandaient le plus lors d’interviews ou de rencontres ».  Dans le pot de la curiosité, on peut aussi citer la partie sur les différents genres qui viendra faire plaisir aux fans de classification en tout genre mais aussi informer ceux qui pensent qu’il n’existe que le seinen, shônen et shôjo

La tâche n’a pas été facile pour traduire certains termes et on le ressent bien. Le japonais est une langue très imagée (la faute aux kanji qui sont des caractères qui ont tous un sens propre). Junko Kawakami (qui illustre l’ouvrage) ajoute que « même si on peut traduire certaines choses, on n’arrive pas au sens réel du mot et il faudrait plutôt l’expliquer que le traduire ». De plus, la variété des tâches du mangaka font « qu’il a besoin d’avoir des opinions extérieures objectives pour rendre son titre plus intéressant, plus vendeur et surtout adapté au public qu’il cible » rapporte Kadokura. L’auteur voit plutôt son travaille comme celui d’un entertainer à l’américaine, quelqu’un dont le but est de divertir, de faire plaisir au lecteur et pas seulement de dessiner. Vient aussi la question des onomatopées, un problème que l’on a pas quand on traduit de l’anglais où de l’espagnol par exemple. Le japonais est une langue qui a cette particularité de retranscrire les sons très facilement, chose plus retorse en français. Misato Raillard et Shima Kadokura le confirment : « Au Japon, on exprime les sons qui existent mais aussi des sensations et des choses qui n’ont pas de bruit comme les couleurs ou les ambiances. Parfois, on peut les traduire mais il est impossible de les transcrire, d’où l’intérêt des notes du traducteur. »

L’un des seuls points négatifs que j’ai pu trouver à l’ouvrage (oui, je suis français, j’ai une réputation à tenir !) n’est autre que le manque d’illustrations. Lorsque j’ai posé la question aux auteures, elles m’ont répondu tout simplement que « c’était une question de droits » mais aussi que l’idée de base ne le permettait pas particulièrement : « En fait, nous voulions faire un ouvrage proche du dictionnaire spécifique, quelque chose qui resterait très très sérieux d’où le côté un peu austère. Ajouter de nombreuses illustrations de plusieurs personnes différentes aurait gâché la cohérence esthétique globale de l’ouvrage ». Les seules illustrations servent d’ailleurs très bien pour étayer les explications données. Par exemple, les petits schémas de planifications de la journée type du mangaka viennent « rassurer » ceux qui pensent que les auteurs travaillent tout le temps (même si, en réalité, on sait qu’ils jouent au jeux vidéos toute la journée comme Togashi). 

Le Japonais du manga est un ouvrage copieux et complet pour tout mangaphile qui y trouvera forcément de nombreuses choses qu’il ne connaît pas mais aussi pour le curieux, l’amoureux de culture qui voudrait simplement découvrir cet univers fascinant  (mode totalement biaisé *ON*) qu’est le monde de l’édition japonaise mais pas que. Que ce soit la maison d’édition et ses différents emplois, le monde du mangaka ou encore les spécificité du manga, de ses fans mais aussi ses quartiers emblématiques, le titre de Raillard, Kadokura et Kawakami les passe tous en revue. Les mots nemu, animeka, otaku, karucha ne sont pas aussi innocents qu’on aurait pu le penser, en tout cas, une fois la lecture terminée, ils n’auront plus de secrets pour vous.