Wolf's Rain
Manga / Critique - écrit par orioto, le 22/08/2003 (Tags : loups wolf loup rain pluie kiba tsume
On entend un peu partout, avant même que la série n'ait débarqué en France, que le nouvel opus des studios BONES rime gracieusement avec l'absolue et cultisme efficacité de Cowboy Bebop. C'est une première erreur puisque, si le côté nerveux et sombrement rock'n roll de la série fait penser en effet à la série jazzy précédemment citée, que son staff en est quasiment le même et que celle-ci passe très tardivement également pour ne pas heurter les plus jeunes de sa violence et de son sens profond, Wolf's Rain se rapproche bien plus d'Escaflowne dans sa structure narrative que de Bebop. La série suit en effet, sur une trame très épique invitant au voyage comme le ferait un jeu de rôle, le parcours semé d'embûches d'une troupe d'hommes loups en quête de sens et de vérité. On y sent du début jusqu'à la fin cette volonté d'ampleur narrative qui faisait l'invraisemblable qualité de la série de 96. Seulement, oui seulement voilà, il n'est pas que l'intention qui compte dans la production télévisuelle, c'est bien dommage.
La série prend place dans un monde semi apocalyptique, froid et vide, dans lequel la proéminence des hommes se fragilise tous les jours un peu plus face aux légendes et mythes qui gagnent les villes. Il y est question d'une race animale mystique aujourd'hui disparue dans les limbes des récits rapportés, les loups. On y parle également d'un « rakuen », un paradis hypothétique aux enjeux philosophiques inconnus dont les loups seraient la clé. C'est dans ce contexte fort intéressant, mais peut-être pas assez développé, que la série lâche ses jeunes héros Calvin Klein dans l'élan d'une quête tourmentée et romantique. Kiba, Tsume, Hige et Toboe se rencontrent sur leur route d'hommes/loups errants dans l'ombre de l'insertion sociale. Ils sont visiblement parmi les derniers représentants de leur espèce, et durent troquer leur fourrure hermès contre une paire de jean moulant mais très souple pour leur permettre de courir gracieusement sur un fond enneigé pendant que Maaya Sakamoto chante « been a looooooooooooooong road to followwwwww ». Les 4 compagnons croiseront sur leur route différents personnages en tandem, fort réussis, tel que le couple d'amoureux qui se cherche ou le vieux roublard vengeur qui ne voit pas, dans sa haine farouche et aveugle des loups, que son chien adoré, buluuuuu, en est une formidable représentante. Il y a aussi cette folle histoire de fille-fleur, graal de tous les intervenants, particulièrement les loups, qui les guidera donc sur le chemin de ce fameux paradis. Les méchants quant à eux, de leur nom de méchant et de leur prestance de méchant, rivalisent de cabotinage bollywoodien et d'ambiguïté shakespeariennes. Le tout nage durant 22 épisodes dans un maelström de question sans réponses et de symbolisme écologique qui aurait pu séduire. L'idée était belle, il faut le reconnaître. On imagine bien le producteur et son staff entrain de se dire, mon dieu que cette idée est belle, je n'en peux plus, lançons-nous !
C'est là qu'est sans doute le réel problème de la série. Il semble évident, ou du moins si le but était de provoquer cette impression, le directeur n'aurait pas pu faire mieux, que le projet est un immense voire monumental coup de poker. Du premier au dernier épisode, le scénario donne l'impression de gagner de temps, de meubler, de se chercher. On peut même très lucidement en arriver à l'hypothèse que les 4 épisodes best of (17 à 20) furent imposés pour permettre au staff de trouver une façon intéressante de finir la série. D'ailleurs quel plus bel aveu que ce format amputé et atypique de 22 épisodes. Celle-ci n'était en effet visiblement pas mise sur les rails d'un récit cohérent et constructif à ce stade d'une saison parmi les plus vides qu'il m'ait été donné de voir. Il serait épuisant d'essayer d'énumérer les milles et une magouilles utilisées pour remplir des épisodes sans faire avancer l'histoire d'un pet. Tout ne semble ici, en tout les cas pour l'auteur peut-être blasé de ces lignes, que clichés et facilités conventionnelles, façades pseudo branchées pour couverture d'Animeland (très décevant sur ce coup, probablement vaguement commandité par un distributeur). Les quatre comparses canins ne semblent avoir été pensés que pour séduire quelques adolescentes insomniaques, dans leur androgynéité si typique de jeunes ados cheveux au vent. Il y a bien sur Kiba le beau brun ténébreux un peu sauvage et souvent blessé (question de convention fétichiste...) ; Tsume son rival rebelle et peu sociable dont l'intégrité comportementale ne résistera pas plus de quelques épisodes, réduite à quelques remarques de façades pour le restant de la série ; Toboe le jeune chiot à la sexualité incertaine dans lequel la jeune fille précédemment citée pourra trouver un vecteur identificatoire par procuration, et enfin un bonus bogosse sans personnalité pour remplacer Kiba quand il est blessé (ou se faire blesser lui-même à l'occasion), Hige.
Plus sérieusement, il y a dans cette façon de faire l'emblème d'une école narrative bien particulière, et à mon sens très faible. Le cas d'un groupe de personnage mêlé à une intrigue globale et de grande échelle est ultra classique pour un rpg. Il l'est moins dans les fictions audiovisuelles. Le fait de noyer la personnalité et l'individualité de ces personnages dans l'ampleur de l'intrigue peut être considérée comme la pire des choses si l'on prône justement l'importance de l'individu dans la narration (et la vie par extension, mais ne nous perdons pas dans des considérations philosophico politiques hors de propos). La plus belle narration qui puisse être conserve une trame globale cohérente et unie tout en ne sacrifiant à aucun moment l'unité de chaque personnage, son intégrité. Il n'y a pas des tonnes d'exemples d'un tel exercice réussi, je n'en connais à vrai dire qu'un véritablement, Final Fantasy 6, mais je m'égare. Il faut comprendre cette vision des choses pour apprécier la façon dont un récit tel que celui de Wolf's Rain peut être vain chez moi. Pourtant curieusement, les personnages humains du récit, qui suivent avec une volonté sans faille leurs propres motivations, sont beaucoup plus intéressants à suivre. Mais ils sont relayés au second plan de la meute aveugle et impersonnelle qui guide la série vers sa finalité. Quoi de plus normal me direz-vous que de confronter justement l'individualisme des humains à l'esprit de groupe des animaux. La thématique pourrait même donner lieu à un exercice passionnant, mais pas de cette façon. L'erreur est ici, peut-être, de nous mettre du mauvais côté du règne animal. L'intention est encore une fois louable, mais la façon de faire gauche.
Comment alors, sauver la série d'un four du type d'Arjuna. Du hype, du hype et du hype, mais également bien sur un staff artistique royal, une Kanno Yôko (musique) vivant à l'aise sur ses acquis dorés malgré une démotivation avouée, un Kawamoto Toshihiro (design) plus en forme que jamais, une qualité technique tout simplement invraisemblable. La série se laisse voir au grè des talents monumentaux qui y fourmillent. C'est clairement une oeuvre de classe supérieure pour l'animation japonaise télévisée, mais cela ne suffit pas à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Pour revenir sur les musiques de Miss Kanno, c'est bien regrettable, elles ne sont que rarement bien utilisées, mais on commence à être habitué à la difficulté de cet exercice si délicat. La dame devrait probablement être plus impliquée dans la structure sonore de la série, mais ce n'est qu'une hypothèse. Il est en tous les cas dommage, quand on voit la magnificence de certaines scènes, dont la musique a semble-t-il été écrite spécialement, que l'on doive se plier à un jeu parfois maladroit de « casage » des oeuvres proposées par Kanno. Ce n'est réellement pas la première fois dans une série sur laquelle elle travaille que l'impression d'une petite désunion de l'équipe se fait sentir. La mécanique du faiseur de succès serait-elle moins huilée qu'il n'y paraîtrait...Il faut malheureusement ajouter à ce tableau mitigé une réelle lacune, comme un grand manque d'inspiration dans la réalisation de la plupart des épisodes, avec 3 ou 4 exceptions près à la fin de la série, comme lorsqu'un sportif donne tout pour ses derniers essais. Il serait malhonnête de ne pas reconnaître une vrai efficacité à certaines scènes émouvantes ou à d'autres troublantes, malgré qu'elles ne soient que des pics isolés dans une mer de platitude scénaristique. Le staff réuni par BONES est bien plus que capable de prouesse, ce n'est plus aujourd'hui à démontrer. Mais le projet Wolf's Rain ne semble pas avoir été proprement maturé et digéré par ses commanditaires.