Panorama de l'Enfer
Manga / Critique - écrit par Jade, le 30/10/2004 (Tags : manga enfer panorama mangas hino hideshi critiques
Dans le domaine de l'horreur, plusieurs genres se distinguent nettement. On peut trouver d'une part les oeuvres plutôt subtiles, où toute représentation graphique est laissée au soin du public et de son imagination, et d'autre part les oeuvres franchement gores, ou le sang coule à flot. Le manga d'Hideshi Hino, Panorama de l'Enfer se range clairement dans cette catégorie. Comment, me direz-vous, un énième manga de charcutage intense peut-il espérer se démarquer de ses sanglants et nombreux concurrents ?
Panorama de l'EnferHé bien, les réponses, car elles sont multiples, sont les suivantes : déjà par son style graphique, ensuite par le but (tout hypothétique soit-il) dans lequel cette violence est employée. Mais enfin, et surtout, devrais-je dire, c'est par l'originalité avec laquelle le manga est mis en scène. Car par définition, un manga gore est un manga où l'aspect graphique et l'ambiance prédominent. Une mise en scène originale est donc quasi-synonyme de réussite ou du moins garanti un certain succès auprès des amateurs du genre. Dans tout les cas de figure, Hino ne nous satisfait qu'a moitié.
Ce Panorama de l'enfer nous met face à un peintre sadique - dont la biographie ressemble en bien des points à celle de l'auteur Hideshi Hino - et, à vrai dire, pour le moins dérangé. Obsédé par la couleur du sang, il passe son temps à se mutiler pour la voir couler le long de son corps et en badigeonner ses toiles. Entre deux séances d'auto flagellation, il nous ouvre les portes de son atelier pour nous montrer ses tableaux les plus réussis, et nous convie à assister l'élaboration de son chef d'oeuvre : un panorama complet de l'Enfer sur une toile géante.
Il faut avouer que la narration de ce manga est particulièrement bien menée, jouant notamment de la mise en abyme d'une manière remarquable. En effet, de nombreux flash-back et de multiples digressions parsèment le manga du début à la fin, menant le lecteur bien loin des sentiers battus. Au fil des étripages, le peintre - narrateur diverge peu à peu du but qu'il s'était fixé en invitant le lecteur dans son atelier. Cette chute libre semble en outre parfaitement maîtrisée par l'auteur, et intensifie grandement l'intérêt de l'oeuvre, mais lui permet aussi de prétendre à un titre bien plus éloquent que celui de "simple" manga. Il ne reste à plus Panorama de l'Enfer que d'être a la hauteur de ses prétentions.
Le dessin, éxagèrement disproportionné, prête une connotation comique à la violence, dans un style très Famille Adams, ce qui n'est pas de trop vu le niveau de violence qu'atteignent certains passages. Même en prenant ce manga au second degré, la violence est bien trop présente pour en faire abstraction. En plus de cela, l'une des spécialités de l'auteur semble être d'inspirer le dégoût le plus total à son lectorat en imaginant des créatures infernales souvent humaines et déformées, comme les "enfants" du peintre, malsains et sadiques au possible. Néanmoins, on frôle parfois le ridicule ou le banal à son plus haut niveau dans certaines scènes. Que dire des scènes ou des zombies décapités sortent de leurs tombes et - bâillement - partent à la recherche de leurs membres ? L'auteur pensait-il vraiment pouvoir créer un effet autre que le mépris le plus froid de son lectorat face à ce navrant manque de créativité ? En définitive, Hideshi Hino nous sert ici beaucoup de réchauffé pour garnir un scénario drôlement bien mené et se voulant solide.
Seulement, même à ce niveau, quelque chose pêche gravement. Tout au long de l'oeuvre, le lecteur est admiratif devant les stratagèmes déployés par l'auteur sur le plan narratif. Il se battit ainsi une réelle tension et, grâce à l'humour omniprésent, une ambiance assez intéressante. De quoi voir les attentes du lecteur littéralement exploser. Elles sont très largement déçues. A nouveau, Hino flirte avec la platitude, et à la lecture d'un autre de ses mangas, Serpent Rouge, l'on se dit avec regret qu'un mangaka de sa trempe mérite bien mieux qu'une conclusion moralisante digne d'un comic de seconde zone. D'ailleurs, vu le talent narratif déployé par Hideshi Hino dans cette oeuvre, il m'est psychologiquement impossible d'infliger à ce Panorama de l'Enfer une note inférieure à la moyenne. Néanmoins, on ne vole hélas pas bien haut.