Lone Wolf & Cub
Manga / Critique - écrit par juro, le 23/12/2004 (
Samouraï, littéralement « celui qui sert », est un état d'esprit qui défend des valeurs d'honneur, de respect et d'honnêteté. Une vie au service d'un seigneur à défendre le domaine contre toute intrusion ennemi, donner sa vie si besoin est, toujours dans la l'humilité et la justesse. Mettre sa vie en jeu dans un seul assaut n'est pas à la portée de tous, une sélection visible s'opère à tous les niveaux et seuls les plus doués résistent aux temps sanglants d'une époque violente. Cependant, une vocation peut très vite devenir une tare et le samouraï n'y échappe car perdre son honneur une fois revient à perdre sa classe pour la vie et devenir un rônin (celui qui dérive sur les flots). Vivre dans la honte, errer de ville en ville, être la risée de tous ou bien se suicider pour y mettre fin, deux alternatives totalement contradictoires qui n'empêchent pas le fait de se considérer soi-même comme un être en sursis et seulement pouvoir conserver son état d'esprit... à moins d'un véritable complot. Un rônin qui refuse son sort et qui se prend à rêver d'une vengeance contre l'homme le plus puisant du Japon. Armé d'un sabre et accompagné de son petit, c'est pourtant l'histoire proposée par Kazuo Koike et Goseki Kojima, celle du loup solitaire Itto Ogami dans Lone Wolf & Cub, un homme qui n'a plus que son état d'esprit...
Pour l'honneur
Lone Wolf & CubXVIIe siècle, le clan Ogami est au sommet, le premier homme du clan a été nommé exécuteur de l'homme le plus puissant du Japon, le shôgun mais cette nomination attise les jalousies et plus particulièrement celle du clan le plus réputé et le plus puissant de l'archipel, les Yagyu, spécialisés dans l'assassinat. Ceux-ci n'hésitent à comploter dans l'ombre pour provoquer un incident regrettable source de la déchéance d'Itto Ogami qui voit son clan réduit à néant à l'exception de son fils de trois ans, Daigoro. Pour lui, il ne fait aucun doute que réparation doit être faite mais pour obtenir justice il se rétrograde de lui-même au rang de rônin. La colère bout en lui mais la vengeance devra attendre car Itto Ogami doit réunir des fonds pour espérer obtenir une réparation totale à la force du sabre. Une route semée d'embûches et de combattants impitoyables se dresse devant eux mais l'union de ces deux êtres invraisemblables est la source d'une épopée formidable...
Sous formes de chapitres, le fil de rouge de Lone Wolf & Cub devient rapidement passionnant mais ce sont par des missions distinctes de l'objectif principal que l'aventure des loups s'apprécie. Offrant ses services sous le nom de Kozure Ogami (le loup errant), Itto accepte tous les types d'emplois en mettant son sabre et sa vie à l'épreuve. Pour un tarif unique, la difficulté des demandes est aléatoire mais la réussite est exceptionnelle notamment grâce au sang froid d'un homme résolu à tous les sacrifices et qui fait preuve d'une incroyable détermination devant l'effort considérable que nécessite sa quête. Chaque volume est propice à découvrir un peu plus sur le passé et les raisons de l'exil mais aussi d'approfondir sur des personnages charismatiques et définitivement samouraïs dans leurs têtes.
Entreprise Rônin, père et fils
Comme Kaze no Shô, le livre du vent, Lone Wolf & Cub s'inscrit dans la tradition des seinens historiques de l'époque des samouraïs. Une philosophie spécifique en découle ainsi qu'une véritable fresque historique marquant différentes anecdotes importantes de l'époque médiévale japonaise. Tout d'abord, les Yagyu sont retranscrits une fois de plus comme un des principaux clans proches du pouvoir du shôgun et marqués par une forte réputation, pas toujours très louable. Mais le gros point fort du manga est de nous plonger dans un monde caractérisé par un langage propre au genre et à l'époque. C'est dans une immersion totale que Kazuo Koike (Crying Freeman) nous embarque. Les recherches sur le Japon d'Edo ont été monstrueuses et Koike en a retiré des expressions en les retranscrivant brut de coffre au sein même des dialogues... exit l'effet Samuraï Champloo ! Ici, des mots comme seppuku, han ou daimyo sont monnaie courante mais le lexique en fin de volume es fort pratique pour les comprendre. Plus encore, les personnages évoluent dans une chronologie d'une époque qui conserve ses codes, retranscrits à la lettre près et narrativement parfaits. Un travail scénaristique bluffant pour un résultat grandiose.
Le couple de personnages principaux est hors du commun. Ils ne manifestent aucune émotion, aussi bien le père que le jeune enfant qui reproduit le seul modèle qui lui ai été donné de voir. Itto Ogami est imperturbable dans toutes les situations auxquels il est confronté et même s'il ne parle pas beaucoup, ses silences et ses regards en disent long sur sa colère intérieure. Son excellence dans le maniement des armes, son adaptabilité à chaque événement et son sens de la tactique en combat en font un combattant hors pair, maîtrisant le bushido comme très peu de ceux de son époque en sont capables.
Daigoro s'en inspire et pour un jeune garçon de son âge, il possède une maturité impensable en copiant à la lettre près l'attitude des samouraïs. Il a l'air de saisir la situation aussi vite que son père mais s'il n'est pas aussi fort que celui-ci, Daigoro utilise la malice caractéristique de ses trois années d'existence pour devenir un véritable allié dans la quête de son père. Les rapports père/fils sont au centre de toutes les attentions et constituent une part non négligeable dans le fait que Lone Wolf & Cub soit d'autant plus appréciable car l'attitude des deux personnages se veut complémentaire. Unis dans la même quête par un destin tragique, il existe aussi bien une certaine distance qu'une irrémédiable proximité familiale.
La famille est sacrée mais Itto Ogami, qui ne cesse de refouler ses sentiments derrière un masque de dureté, est incapable de montrer le moindre geste d'affection pour son fils, celui-ci le ressent d'ailleurs fortement mais n'en dit rien. D'un autre côté, les deux « hommes » sont complices au point d'en oublier les mots pour communiquer et n'échanger que des regards pour s'exprimer. Une antithèse de la logique du comportement familial actuel qui laisse pantois mais qui montre que la filiation existante ressemble bien à un amour immuable. Les deux se donnent de la force pour avancer et si l'un est en danger, l'autre est le seul sur lequel il peut compter. Une horde uniquement composée de deux loups mais une horde efficace qui sait conserver une volonté inébranlable.
Derniers hurlements au clair de lune
La variété des histoires suit le même schéma directeur (contrat, mission en cours, dénouement, conséquences) mais l'effet de renouvellement caractérise Lone Wolf & Cub. Les histoires s'enchaînent sans jamais se répéter, les trames scénaristiques sont intelligentes et particulièrement bien menées et il n'est pas rare de voir des exemples inattendus comme Daigoro prendre la vedette ou suivre des personnages secondaires jusqu'à croiser la route du duo improvisé assassin.
Le graphisme est aussi marquant que le scénario. Datant des années 1970, les premiers volumes n'ont pas pris une ride et le dessin est toujours d'actualité même si quelques proportions paraissent un peu bizarres de temps à autre. Le style hachuré de Goseki Kojima rend les personnages plus durs, marqués par la vie en ce qui concerne les vrais combattants, les personnages secondaires ne se distinguent pas vraiment les uns des autres aussi bien homme que femme. Les « loups » sont au centre de toutes les attentions et si Daigoro apporte un peu de légèreté en découvrant la vie au grand air, son père est l'archétype du combattant sans peur, ne manifestant aucun égard de conduite. Ces deux-là évoluent dans des paysages fidèles à l'époque et superbement détaillé. Les éloges ne s'arrêtent pas à ceci car les combats sont aussi superbes de précision, sans être plus sanglant que la réalité pourrait le laisser supposer mais la confusion peut parfois porter sur le fait que les combats à « un contre tous » sont moins propices à la multiplication des dessins de Kojima, ceux-ci perdent légèrement en intensité au fil des cases. Depuis le décès de Kojima, c'est Hideki Mori qui a repris la suite au dessin.
Lone Wolf & Cub est un seinen incontournable sur tous les plans et devrait probablement ne laisser que de très bons souvenirs après chaque volume, d'autant plus que l'édition de Generation Comics est impeccable même si le prix est un peu élevé, par contre quelques jaquettes sont immondes. Ce seinen de samouraï ne peut pas laisser indifférent devant tant de qualités. Des qualités qui n'ont pas laissé insensible Darren Aronofsky qui devrait probablement l'adapter au cinéma...