Japan Expo 2012 - Conférence de Naoki Urasawa et de Masao Maruyama

/ Article - écrit par Mimi0524, le 23/07/2012

Tags : japan expo consulte manga paris urasawa naoki

Le vendredi 7 juillet à 15h30, la scène Japan Expo accueillait deux grands du manga et de l’animé : le mangaka Naoki Urasawa et le producteur Masao Maruyama. C’est avec naturel, bonhomie et sincérité qu’ils nous ont parlé de leur rencontre, leur travail et de leur projet…

 

Leur première « rencontre » :

C’est avec beaucoup de nostalgie que Naoki Urasawa nous parle de sa première rencontre avec monsieur Maruyama. C'est en 1969, en regardant Ashita no Joe, que le mangaka remarque pour la première fois son nom au générique. Ce qui a influencé Urasawa dans Ashita no Joe, ce sont les traits épais des personnages.

D’où viennent ces traits caractéristiques ? C’est monsieur Maruyama qui nous donne la réponse. Il se remémore ses premières collaborations et notamment avec Shingo Araki, décédé l’année dernière. La technique utilisée était très à la mode à cette époque. Ils utilisaient au départ un crayon HB mais qui a été très vite remplacé par un 2B, une mine beaucoup plus épaisse et grasse. La technique était d’ailleurs la même que celle des 101 dalmatiens, où l’on voit les traits de crayon. C’est par cette influence que, dès l’âge de 9 ans, Urasawa a acheté des crayons 4D, ses crayons préférés. Et voici comment il en a fait usage :

« Je dessinais des sourcils très épais comme ça avec des crayons tout noirs. J’ai encore à la maison ces cahiers où je dessinais quand j’étais petit. Je les ai tous gardés et quand je regarde tous les personnages avec ces énormes sourcils, ma main devient toute noire ».

Voilà ce que nous confie le mangaka en souriant. Par la suite, il affirme avoir « été extrêmement influencé par ces traits très typiques qui ont révolutionné le milieu de l’animé ». Le temps est passé et c’est en 1986 qu’il commence à dessiner Yawara !.

 

Yawara !


by URASAWA Naoki/Shôgakukan
Yawara !
a eu un énorme succès au Japon et a été adapté en film et en animé. La demande d’adaptation animée a été faite par le studio Madhouse. Urusawa ignorait encore qu’il allait voir son rêve se réaliser : celui de travailler avec la personne qu’il admirait tant, Masao Maruyama. En France, la série Yawara ! est encore inédite, le générique nous a donc été projeté.

Urasawa était très étonné que la série ne soit pas diffusée/publiée en France, pays où le judo est pourtant très populaire. Parallèlement à la série, une personnalité a beaucoup marqué les japonais à cette période : Ryoko Tamura, la championne de judo qui a décroché une médaille d’argent aux Jeux Olympiques de Barcelone. La réalité et la fiction se sont mêlées : Ryoko Tamura est devenue Yawara. Beaucoup de japonais pensent que le manga et l’anime ont été créés en son honneur. Mais ils se trompent car ils datent bien d'avant les exploits de la sportive.

 

Echange avec le public :

C’est toujours avec bonne humeur que nos deux invités ont répondu aux questions du public. Voici une retranscription :

Spectateur (un expert en judo) : Pour Yawara !, avez-vous fait des recherches particulières sur le judo ?

Urasawa : Oui, pendant que j’écrivais Yawara !, j’allais souvent voir des combats de judo. Je m’asseyais à la place de l’arbitre et du coup, je passais souvent à la télé (rire).

Public : Pourquoi vos œuvres récentes n’ont pas été adaptées ?

Urasawa : Monsieur Maruyama devrait pouvoir vous expliquer… Il y a toujours pleins d’idées et de projets mais à cause des sponsors, de l’argent, tout est très compliqué.

Maruyama : Il n’y a qu’une seule raison : c’est que les œuvres de monsieur Urasawa sont très longues ! Au Japon, les séries animées durent en moyenne 12 épisodes et 24 si on prolonge. Une série de 12 épisodes correspond à 3 mois et une de 24 correspond à environ 6 mois. Réaliser un animé n’est jamais facile : il y a les sponsors et beaucoup de problèmes d’argent… Il y a aussi une autre raison ! Lorsqu’une série est trop longue, il y a possibilité d’écourter l’animé en enlevant des parties de l’œuvre originale. Mais pour les œuvres de monsieur Urasawa ce n’est pas facile car tout est important et lorsqu’on adapte, il faut absolument garder le fil du manga.

Urasawa : Le projet miracle où rien n’a été enlevé, c’est l’œuvre que je vais vous présenter maintenant : c’est Monster.

 

Projection de la bande-annonce de Monster

 


Monster
Urasawa
: Lorsqu’on a commencé le projet, la série durait 100 épisodes, plus

d’un an et demi ! C’est très rare de partir sur une période aussi longue pour un animé. Au final, il y a eu énormément de succès.

Public : Il y a un article dans lequel on disait que vous vous opposiez à la publication de vos anciennes œuvres que vous considériez mauvaises. En France, on a pourtant publié Histoires courtes… Est-ce que le journaliste avait mal interprété ou est-ce que vous aviez changé d’avis entre temps ?

Urasawa : Je n’ai jamais dit ce genre de propos… C’est juste une rumeur.   

Public : Quels conseils avez-vous donné à monsieur Maruyama pour l’adaptation de votre série ?

Urasawa : Quand il y a une adaptation, je vérifie toujours le scénario et le design des personnages avant de donner mon feu vert. Pour Monster par exemple, certains personnages européens avaient un corps trop fin et frêle. J’ai donc fait quelques corrections avec de nouveaux dessins car selon moi, les européens ont un corps un peu plus épais.

Public : On entend souvent dire que les mangaka sont effrayés par l’animation. Vous au contraire, vous êtes impliqué. Avez-vous envie de devenir réalisateur ?

Urasawa : C’est vraiment une chance de travailler avec quelqu’un d’aussi fantastique que monsieur Maruyama. S'il y a une adaptation en animé, je participe un peu, j’assiste à des réunions, je donne des conseils… J’ai envie de participer et non réaliser, pour diffuser au monde de belles œuvres et pour créer de meilleures choses. Je sais que mon point fort, c’est le manga. Il y a des professionnels pour l’animé, des gens formidables comme monsieur Maruyama qui me conseillent toujours de ne pas venir dans ce côté obscur (rires). Il y a aussi ma femme qui me dit : « Si un jour, tu passe de l’autre côté en tant que réalisateur, tu vas tout laisser tomber alors non, ne fais pas ça ».

Maruyama : Un génie de cette dimension ne doit pas passer dans le monde de l’animé ! Ne pas écrire de manga pendant un an, c’est vraiment du gâchis... C’est quelqu’un de formidable, s’il vient dans le monde de l’animé et qu’il ne revient pas au manga, ça ne sera pas bon. Ecrivez des mangas s’il vous plaît.

Public (à Maruyama) : Monsieur Urasawa nous a expliqué ce qui l’avait influencé dans votre travail. Pouvez-vous nous décrire, vous professionnel de l’animation, ce que vous voyez de si unique dans l’œuvre d'Urasawa ?

Maruyama : Tout ! Le design des personnages, la façon de mener l’histoire, les petits détails, absolument tout ! En tant que réalisateur, c’est vraiment très difficile d’adapter son manga. Pour moi, c’est un défi à relever, j’ai vraiment envie d’adapter son manga.

Public (retour vers Urasawa) : L’intrigue de vos œuvres (20th Century Boys, Monster et Billy Bat) est beaucoup centrée autour de complots qui dépassent souvent vos personnages. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous diriger vers ce type de manga très sombre ?

Urasawa : On me le dit souvent, c’est vrai. Tout être humain peut être enrôlé par ce type d’organisation mystérieuse et notre société est vraiment faite ainsi. C’est ça qui donne le côté humain. Dans Happy!, il y a les yakuza qui viennent toujours demander de l’argent… ça paraît sombre mais ce fonctionnement de société est réel. Dans Monster, il y a aussi quelque chose de très proche du comique. Moi je trouve que Monster est une œuvre comique (rires).

Public : Dans Monster, l’histoire se passe en Allemagne et en Europe de l’Est. Est-ce que c’était difficile de reproduire un pays étranger ?

Urasawa : Ce qui est compliqué, c’est dessiner des choses autour de moi qui sont réelles. Il faut donc prendre tous les détails, réaliser le réalisme déjà présent. Pour pouvoir m’exprimer, j’ai besoin de ces détails et de ce réalisme de ces mondes complètement différents : celui du XXVe siècle dans Pluto par exemple, ou de la vie quotidienne dans l’Europe de l’Est.

Public : N’avez-vous pas envisagé d’adapter Pluto en animé ?


Pluto T.1
Maruyama
: J’étais à Madhouse que j'ai quitté pour créer MAPPA. J’ai 71 ans cette année et je pense pouvoir rester encore 5 ans dans le monde l’animation. Il y a beaucoup d’œuvres que j’aimerais réaliser et Pluto en fait partie. Ce serait bien si la France contribuait un petit peu, ça nous aiderait quoi (rires des spectateurs) ! Il est difficile d’adapter Pluto car un épisode est l’équivalent d’un volume en manga. J’espère que d’ici ces prochaines années, je pourrais dire à monsieur Urasawa : « veuillez contribuer s’il vous plaît ». Lorsque Pluto a été publié pour la première fois, en magazine, réaliser l’animé est la première chose qui m’est venue en tête. C’est un retour à monsieur Tezuka Osamu et j’espérais que le manga soit assez court pour en faire une adaptation filmique. Mais comme vous avez pu le constater, Pluto est une œuvre très volumineuse et riche. Il est donc impossible de le faire en film. Parmi ce peu de temps qui me reste, j’espère pouvoir adapter une des œuvres de monsieur Urasawa en film.

Urasawa : Ne dites pas ça… Je vais vous faire travailler encore pendant 20 ans ! (Rires)

Public : Lorsque vous avez collaboré avec monsieur Maruyama sur Monster, comment avez-vous travaillé pour retranscrire ce rythme narratif, très proche du cinéma ?

Urasawa : Le réalisateur de Monster, monsieur Kojima, a fait en sorte de garder les mêmes angles que dans le manga et a recherché le mouvement idéal pour pouvoir transmettre cet univers. Dans le film de 20th Century Boys, le réalisateur, monsieur Tsutsumi, a aussi fait le même travail.

 

D’autres questions restent sans réponses car le temps imparti est écoulé. Les deux maîtres remercient leur public et se retirent en souriant. La conférence est terminée. Ce qu’on espère maintenant, c’est la publication et la diffusion de Yawara ! en France !