7.5/10ES, Eternal Sabbath

/ Critique - écrit par juro, le 11/01/2005
Notre verdict : 7.5/10 - Black Sabbath ? (Fiche technique)

Tags : sabbath eternal soryo fuyumi tome vol manga

Un soir, j'ai rêvé de passer pour un autre. J'ai pensé que je pouvais devenir n'importe qui, que tous m'accepteraient pour mon nouveau moi sans sourciller, qu'un clignement d'oeil suffirait à faire de moi quelqu'un de nouveau, me construire une histoire au présent et faire fi de mon passé. Je désirais consacrer mon quotidien à améliorer celui de chacun d'entre vous par de petits gestes simples mais efficaces sur votre moral car vous êtes tellement friables, humains. Me fondre parmi vous ne devait créer aucun problème car je pouvais vous faire croire mes désirs les plus fous en entrant dans vos têtes, personne ne pouvait comprendre qui j'étais réellement, personne sauf eux... Aujourd'hui, moi qui avais décidé d'être un « homme » sans passé, je suis rattrapé par ma vie antérieure et sur ma route, je retrouve le seul être qui me ressemble, celui qui leur fait peur, Isaac. Car, comme moi, il possède l'ES, Eternal Sabbath. Et depuis, je garde une identité fixe, je suis Shuro.

Enigme génétique

ES, Eternal Sabbath
ES, Eternal Sabbath
Mine Kujô est passionnée par son travail de scientifique. Sa spécialisation dans l'étude du cerveau l'a rendu célibataire endurcie contre son gré, elle fait fuir les hommes en n'arrivant pas à tenir une conversation simple et normale mais c'est surtout sa manière scientifique d'analyser les actes des autres qui effraye ses congénères masculins. Elle se cache, voire se réfugie, derrière son métier pour se blinder de la solitude qui commence à encombrer sa vie, elle se confie peu aux autres et montre peu de chaleur humaine à ceux qui l'entoure. Même le jour où un meurtre est commis sous ses yeux, elle ne réagit pas... tout comme un homme qu'elle a remarqué sur les lieux du crime, Shuro.

L'excitation scientifique de Mine est réveillée et c'est une véritable traque qui s'organise pour découvrir le secret de Shuro. Rapidement, elle va découvrir que beaucoup d'éléments inexpliqués et dépassant sa compréhension risquent d'affecter sa vision scientifique. Cet homme est dangereux et bienveillant à la fois, il n'hésitre pas à user de pouvoirs surnaturels sur tous même si quelques uns y restent isensibles. Mine est justement une des rares à ne pas tomber sous le joug de ses pouvoirs de manipulation, d'où la création d'une étrange relation qui se tisse petit à petit entre eux. Une relation bizarre entre rapport de force et découverte d'un cas exceptionnel, observables de chacun des points de vue. Cependant, un autre danger se manifeste avec l'apparition d'un autre ES... et celui-ci n'a aucune compassion pour le genre humain, Isaac. Une seule méthode pour canaliser la fureur d'Isaac, allier le savoir humain de Mine et l'extra sensorialité de Shuro, un combat de tous les instants car la confiance ne règne pas...

EStra ou ESbrouffe ?

Fuyumi Soryo (Mars) nous propose de partir sur les traces d'êtres aux capacités exceptionnelles. Avec un scénario assez classique mais en prenant une forme inattendue, tout au moins au début, Eternal Sabbath arrive à nous ouvrir les yeux sur notre peur des phénomènes inexpliqués et la solitude causée par la différence à autrui. Le premier volume est prometteur mais la suite devient plus classique en abordant les thèmes déjà explorés de l'homme dépassé par sa propre création notamment.

Cependant, la légère subtilité du scénario qui aurait pu tourner à de l'action pure et dure tient justement dans le fait que les personnages principaux refusent la confrontation, usant de préférence de leur cerveau pour tromper leur monde. Tous les personnages jouent à cache-cache avec leurs identités, ils sont fragiles derrière leurs apparences fortes mais manquent cruellement de chaleur humaine. Ils refoulent leurs sentiments derrière leurs carapaces, plus rien ne passe et les sentiments des autres ne les atteignent pas, ils avancent dans leur quête en essayant de se comprendre un peu mieux. Les deux camps s'étudient mutuellement sans pouvoir interpréter les réactions de leur partenaire/adversaire, ce qui instaure une certaine froideur comme un travail de recherche. Tour à tour, le chercheur devient le cherché, le scientifique devient le cobaye.

Eternal Sabbath ressemble à Parasite dans les thèmes abordés et par le fait que des êtres exceptionnels puissent réduire à néant les vies humaines, tout en restant beaucoup moins gore. En s'attachant à aborder d'autres thèmes comme psychisme, secrets du corps, personnalités atypiques, ES se dote d'une autre richesse que l'action trépidante d'autres séries. Ici, il est plus question d'une réflexion sur l'intégration, la dualité du pouvoir scientifique et de rapports humains. Fuyumi Soryo est convaincante en narratrice de seinen surtout en gardant ce rapport assez distant et glauque avec l'humanité déjà présent dans Mars.

Cette caractéristique voulue par la mangakana est la base de son travail. Son trait particulier qualifiable de termes comme chirurgical, très fin et précis ne laisse pas paraître de défaut apparent pour un ensemble dépouillé et plutôt convaincant. L'art de son découpage aère sensiblement les cases chargées en dialogue, des cases qui sont elles-mêmes parfois un peu trop « aérés » de dessins. En effet, un grand nombre d'entre elles représentent un seul personnage sur un fond vide de détails et qui possèdent une palette d'expressions dignes d'un carpe amorphe, telles ces doubles pages de présentation des personnages qui en restent tout de même assez admirables de précision. De plus, les personnalités des personnages ne se prêtent pas non plus aux débordements intempestifs d'humeur. « Les yeux sont le reflet de l'âme » et c'est d'autant plus vrai dans ES où analyser les sentiments des personnages à travers leurs regards en devient d'autant plus difficile qu'ils refoulent le moindre débordement. Des personnalités atypiques, qui peuvent sembler flegmatiques, mais que Soryo arrive à bien retranscrire avec une plume entre les doigts.

Glénat se dote encore d'une bonne courte série qui mérite son succès même si la suite tombe un peu plus dans la convention. En dépit d'une bonne édition sur un papier de qualité supérieure, Eternal Sabbath manque d'un petit brin de folie pour en faire une très bonne série mais la suite ne demande qu'à être aussi performante que le début pour me faire mentir...