9/10Eden

/ Critique - écrit par Jade, le 15/08/2004
Notre verdict : 9/10 - Elevator to Heaven (Fiche technique)

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L'Homme, selon la Bible, en croquant la fameuse pomme, s'est condamné à vivre séparé de Dieu. Sur Terre, il est éloigné de son créateur, qui pourtant décide de son destin et intervient selon son bon plaisir. Cette situation a quelque chose de cruel pour notre race, car nous recherchons sans arrêt la présence du Père tout-puissant, sans jamais la trouver. Cette quête perdue d'avance, et cette impression que celui dont nous ne voulons qu'une simple reconnaissance joue avec nous, nous mène au désespoir, puis à la faute, comme Cain tua son frère Abel, par dépit. Au fond, tout ce qui nous guide dans notre vie est cette recherche de Dieu, cette quête d'un Eden perdu.

Eden
Eden
Voilà ce sur quoi toute l'oeuvre de Hiroshi Endo est basée. La recherche d'un paradis perdu et inaccessible. Faute de pouvoir l'atteindre pendant qu'ils sont vivants, les différents personnages adoptent tous une attitude différente face à cette situation. Et c'est souvent le désespoir qui l'emporte. Force est de constater que dans le monde où se déroule Eden, il y a largement de quoi s'y laisser gagner. Nous sommes dans un futur plus ou moins proche. Un virus particulièrement horrible a fait son apparition, il y a 20 ans déjà, et a décimé une partie non négligeable de la population avant de se stabiliser. Mais les conséquences sont irréversibles. Les progrès rapides de la cybernétique n'arrivent pas à combler les inégalités sociales grandissantes, aboutissant au renforcement de la criminalité et des réseaux mafieux. La violence fait partie du quotidien des plus pauvres alors que les plus riches sont corrompus. Quelle est la place du rêve dans une société où les sentiments et les illusions sont des faiblesses qui mènent à la mort ? Eden répond très vite à cette question : les plus forts (ceux qui survivent) sont ceux qui ont effacé de leur vocabulaire les mots "compassion", "pitié" et "idéal" avec autant de facilité qu'il en faut pour se faire greffer des parties mécaniques sur le corps. Cela, tout le monde le sait pertinemment, sauf le jeune Elia, qui l'apprendra à ses dépens.

Elia est le fils d'un puissant trafiquant de drogue, le très influent Enoa Ballade. On ne sait que peu de choses du jeune garçon de quinze ans, si ce n'est qu'il a été élevé dans un milieu riche et qu'il n'a jamais vu son père. Il est protégé par le robot de combat Chérubin, qui, comme nous le voyons dans le prologue de l'oeuvre, appartenait déjà à Enoa lorsqu'à quinze ans, il traçait son destin en assassinant son propre père lors de leur première rencontre.
Dans les premiers chapitres, Elia est un gamin pas très débrouillard, qui réussit par hasard à échapper à son propre kidnapping, alors que sa mère et sa soeur se font enlever. Vivant seul avec Chérubin qui le protège, il se fera vite prendre en otage par un groupe de terroristes recherchés par plusieurs instances militaires. Cela sera son premier contact avec le monde difficile dans lequel il vit, à travers le combat, la violence, la mort, le meurtre... Très vite, le jeune garçon laissera tomber ses espoirs d'un monde où tout le monde vivrait heureux, et commencera à tuer pour protéger ceux qu'il aime. Et ce n'est qu'à cet instant qu'il deviendra un vrai homme, capable d'affronter la réalité seul.

Tout au long du manga, on voit Elia se rapprocher de l'image de son père, où celle qu'on peut avoir de lui. Tel un dieu, Enoa Ballade est à la fois le point de départ et le but que semble inconsciemment poursuivre le jeune garçon. Ici, vivre veut dire accepter le monde tel qu'il est et se battre pour survivre, de manière totalement égoïste. Parmi les personnages principaux, ceux qui survivent sont ceux qui sont les moins humains, et ceux qui meurent sont donc les plus attachants, mais aussi les plus faibles. Quel est l'intérêt de la survie si tout ce que l'on a d'humain en nous doit mourir ? Qui doit-on préférer entre celui qui vit avec un corps mécanique et celui qui a tué tous ses sentiments pour n'être plus qu'un robot sans âme propre ?

Eden révolutionne donc le manga de science-fiction, en reprenant les bases du genre et en les incorporant à un monde propre à l'auteur et à des thèmes déjà développés (sans jamais atteindre un tel niveau de réussite) dans ses nouvelles. Non seulement élargit-il son champ de réflexion, mais en plus il offre au lecteur une oeuvre soignée, très bien équilibrée malgré le foisonnement de personnages et d'embranchements de différents scénarios. Les dessins sont sublimes, les visages très expressifs, et les cyborgs font parfois penser au Tetsuo de Tsukamoto (mélange parfaitement repoussant de chair et de métal), mais sont toujours incroyablement détaillés. Eden est un manga "pour lecteurs avertis", et mérite bien cette appellation. Outre certaines scènes de sexe, beaucoup d'images assez violentes agrémentent l'oeuvre, et sont encore plus fortes placées dans leur contexte.

Voilà par ailleurs ce que l'on pourrait reprocher à Hiroki Endo. L'auteur semble prendre un malin plaisir à torturer ses héros et à les tuer de manières absolument sadiques. Je veux bien comprendre qu'il s'agisse d'une manière d'illustrer les propos tenus, mais pense aussi qu'il ne s'agit que d'une manière de justifier un certain sensationnalisme gratuit. Néanmoins, cela donne une force assez étonnante à l'oeuvre, et la rend clairement atypique. Ce n'est pas le cas du pessimisme ambiant qui règne tout au long de l'histoire. A chaque volume, il faut entendre se répéter une fois ou deux des phrases du genre "Dieu aurait mieux fait de tous nous tuer" ou "L'homme est le seul être à polluer la planète". Il ne s'agit pas ici d'être ou ne pas être d'accord avec cette vision défaitiste des choses, mais de comprendre qu'en se répétant ainsi, l'auteur alourdit inutilement son oeuvre en essayant de "convaincre" le lecteur au lieu de le laisser former sa propre opinion, perdant ainsi beaucoup de crédibilité.