7.5/10Déviances

/ Critique - écrit par Jade, le 09/03/2006
Notre verdict : 7.5/10 - manga alternatif (Fiche technique)

Tags : deviance sociologie normes deviances sociale societe recherche

Encore un de ces titres qui suggèrent beaucoup. Déviances. Une dérive du chemin attendu, une flèche qui rate son but, un objectif que l'on rate... Tout un programme.
Tout un programme, et peut-être à plus forte raison quand l'on constate que le chef d'orchestre n'est autre que Kei Toume, mangaka plus ou moins underground dont le succès en France passe par deux des plus grands chef-d'oeuvres du manga que l'on ait le plaisir de connaître. Punch Comics prend ce qu'il reste de la poule aux oeufs d'or en éditant des anciennes oeuvres (nouvelles et one shots) de l'auteur au contenu plus ou moins heureux.
Zero avait sa valeur, qu'en est-il de ce nouveau recueil ?

Déviances
Déviances
Le thème reste le même avec Kei Toume. Les marginaux, les étudiants paumés, les amours qui stagnent, et un ou deux fantômes qui traînent par-ci par là, tout aussi perdus que leurs homologues humains. Pour le connaisseur, Déviances est un moyen d'approfondir sa connaissance de l'auteur et de constater une nouvelle fois à quel point c'est l'aspect humain qui prime chez Toume, instiguant des valeurs fortes à chacun de ses héros, un caractère souvent prononcé mais hésitant. On appréciera la finesse des personnages, qui restent somme toute peu concrets car motivés avant tout par leurs passions, perdus par leurs désillusions ou noyés par la solitude. En cela, Kei Toume est un auteur du rêve, faisant flotter ses esquisses de personnages au gré d'une histoire souvent très accessoire. D'où la force poétique de ses oeuvres, peut-être moins visible ici (oeuvre de jeunesse oblige), mais malgré tout bel et bien présente. On retiendra à ce titre la nouvelle 'La Ville au Fantôme', contant l'histoire d'un garçon et du spectre d'une jeune fille.
On reconnaîtra un prélude à Sing 'Yesterday' For Me dans 'La Bicyclette Argentée'. Mais ce serait une erreur de ne pas voir dans chacune des sept nouvelles un fondement aux futures oeuvres de leur auteur. Une belle occasion de souligner les éléments récurrents dans les oeuvres de Toume, tout aussi liés aux thèmes abordés et aux personnages dépictés (toujours cette unicité qui fait de Kei Toume un des mangakas les plus difficiles à saisir et l'un des plus enthousiasmants à analyser). La quête perdue ou abandonnée, parfois même complètement dépassée, dans les apparences du moins. Sous cet angle de vue, l'on peut remarquer que chacune des nouvelles (et même toutes les oeuvres sorties en France) de l'auteur montre l'état de cette quête à un moment différent, faisant ressortir soit la stagnation due à la perte d'un but ('Le Théâtre de Six Tatamis'), la nostalgie d'une passion encore fraîche ('Déviances') ou l'oubli pur et simple de ce qu'est l'envie de vivre ('La Ville au Fantôme', ou la voie royale aux magistrales 'Lamentations de l'Agneau'). Reste l'exception notable de 'Le Professeur de Japonais RC-01', dont j'occulterais l'apport littéraire en disant qu'il s'agit là bien évidemment d'une oeuvre de commande sans aucune espèce d'intérêt.

Reste que celui qui découvre Kei Toume en aura lui aussi pour son compte, chacune des nouvelles étant de qualité suffisante. On soulignera la première, 'Déviances', donnant son titre au recueil, et abordant le sujet des drogues douces pour la première fois à ma connaissance dans un manga, ou la très plaisante 'Un Rêve Eveillé'. En règle générale, le ton reste léger, ce qui est plutôt normal vu le format d'expression et la période à laquelle l'auteur les écrivit. Une jeunesse que trahissent aussi les dessins, beaucoup moins fins et porteurs qu'ils ne le deviendront par la suite et n'ont pas cette maturité et ce sobre esthétisme qui caractérise aujourd'hui Kei Toume. Malgré cela, la totalité du manga est dessiné à l'encre de Chine et si les personnages ont des proportions et des expressions de jeunes adolescents, il n'est pas rare de tomber sur une expression qui fait mouche ou de la mélancolie derrière une situation au revêtement comique.

Déviances est un bon recueil, agréable et profond, que l'on prend un grand plaisir à lire. Moins hermétique que le one shot Zero, il constitue un bon moyen de découvrir la superbe Kei Toume, ce qui n'est pas le cas des recueils de nouvelle en général. Mais celui-ci est un bon sommaire de sa bibliographie, avec une dose d'humour et de légéreté qui font très bien passer le tout.