Blue
Manga / Critique - écrit par juro, le 03/10/2005 (Tags : blue for place adjectif groupe noun anglais
Dans le petit monde encore peu développé du yuri paru aujourd'hui, Blue marque par sa simplicité et sa virtuosité.
Suggérer est une forme subtile de faire passer un message plein de non dits et de demi vérités. Seulement demi vérité car la vérité nue pourrait se refléter difficilement dans les yeux de l'interlocuteur. La question devient d'autant plus compliquée lorsque la timidité naturelle et le manque de confiance en soi freinent l'envie de dire, de parler et d'exprimer la vérité, le désir. Blocage. Remords. Regrets. Prenez désormais le cas de Kayako, jeune lycéenne regroupant toute cette prise de tête insupportable et qui se découvre aimer les filles. Comment le faire comprendre sans le dire ? Le pouvoir de suggérer. Et c'est tout le mal que se donne Kiriko Nananan pour tenter de nous convaincre à travers le yuri Blue.
« Si je devais donner une couleur à toutes ces choses du passé, je choisirais le bleu profond »
(c) CastermanKayako Kirishima voue une passion sans bornes à sa camarade de classe Masami Endo sans pour autant lui avoir jamais adresser la parole. Tout semble clair dans la tête de Kayako, elle se rapproche de Masami en établissant un lien de confiance amical avant de se laisser emporter dans un torrent d'émotions intenses. De l'amitié à l'amour, Kayako et Masami vont franchir le pas évoquant rêve, avenir et passion à deux. Mais Masami est détentrice d'un lourd passé, un passé inoubliable, une histoire commune entre « ils » et non entre « elles ». Un obstacle à cet amour naissant ?
Les personnages masculins ne font qu'un passage éclair dans le manga le temps pour Kayako d'affirmer son homosexualité, le reste est pratiquement toujours orchestré autour des deux héroïnes sans pour autant être étouffant. La mangaka possède suffisamment d'alternatives pour proposer une intrigue simple mais intense, la bluette de deux lycéennes qui se cherchent à différents niveaux et qui ne peuvent compter que l'une sur l'autre pour parvenir à vivre leur vie l'espace de quelques temps comme deux êtres à part, immobiles dans un monde remuant à souhait. L'impression que Kayako et Masami paraissent perdues les rend touchantes, attendrissantes, elles en deviennent immédiatement un couple tellement leurs points communs sont évidents. Le scénario s'attache à décrire la mélancolie régnante dans un couple homosexuel où secrets et non dits existent tout autant que dans un couple hétérosexuel, le déroulement semble prendre un chemin tout tracé mais la fin est véritablement inattendue.
Entre filles
Le travail graphique est d'importance. Les traits simples et dénués de tout subterfuge de Nananan amènent à se focaliser sur les personnages, leurs émotions et leurs réactions. Avec beaucoup de style, les « elles » évoluent libres dans un décor tout juste suggéré, libres de toutes contraintes ou presque : les cours sont à peine évoqués, les parents itou, les amis un poil plus... L'action est peu présente, tout réside dans le dialogue, les échanges en face à face (et souvent encore plus près) entre caresses, baisers et regards perdus. Le découpage est fin, adroit mettant en valeur ces personnages simples et fragiles aux caractères réservés. Les moments de réflexion de Kayako privent l'image de dessin posant juste quelques mots sur une page blanche.
Le travail d'édition reste tout de même une petite perle de créativité avec une impression des personnages et des caractères en bleu marine qui efface le traditionnel noir et blanc du manga de la conscience l'espace d'un instant. Blue manie à merveille l'ingéniosité pour arriver à tirer son épingle du jeu des autres yuri avec ce ton toujours extrêmement doux et non explicite, tout en suggestion... Le grand format sied à l'histoire comme pour tous les autres Sakka rendant la lecture agréable.
(c) Casterman
Dans le petit monde encore peu développé du yuri paru aujourd'hui, Blue marque par sa simplicité qui pose plusieurs bases de réflexion sur le couple quelque soit sa nature mais même si l'originalité n'est pas spécialement au rendez-vous, le travail graphique et d'édition devrait permettre de conserver cet ouvrage soigneusement dans une bibliothèque. Habile suggestion, non ?