9.5/10Berserk

/ Critique - écrit par juro, le 08/04/2004
Notre verdict : 9.5/10 - Warlord (Fiche technique)

Tags : berserk miura kentaro manga tome guts edition

Violence et amour, guerre et repos du guerrier, sentiments à profusion, fantastique et horreur, trahisons et complots succédant à bonheurs futiles... tout ça c'est Berserk. Une oeuvre majeure.

Avant tout, âmes sensibles s'abstenir, ce qui suit n'est pas pour vous... Pour les autres, lire attentivement cette critique vous permettrait de faire mieux connaissance avec un univers tellement riche que cet avis est loin d'être exhaustif. Une épopée, une vraie, une comme celle du Seigneur des Anneaux... Il faudrait presque consacrer une critique à chaque volume de cette oeuvre dantesque. Le titre annonce la couleur car Berserk (Kenfu Denki Berserk pour l'anime) est bien une histoire de folie, une folie sombre, terrifiante parfois, incontrôlable souvent, sanglante énormément. Tiré du terme « berserker » soit guerrier inspiré d'une rage divine selon les légendes scandinaves, voici un conte médiéval cruel où de nombreux éléments d'héroïc fantasy et les combats sans pitié sont légion.

Pourtant en s'y intéressant de plus près, Berserk est un seinen bien plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord mettant en scène des personnages forts, des réflexions étonnantes abordant des thèmes exceptionnels toujours aux limites de la folie mais c'est surtout sa quête principale qui retient l'attention : une histoire de vengeance à réaliser au beau milieu d'une guerre au sein de laquelle les destinées de deux hommes rivaux vont s'affronter. Le bien contre le mal... non bien pire que ça, le mal contre le mal. Ni bon, ni méchant, le côté sombre de chacun des personnages ressort pour un résultat fascinant, superbement desservi par le génialissime Kentaro Miura afin d'en faire LE meilleur manga actuel.

« I have a dream... »

Les deux premiers volumes nous proposent de nous plonger dans le monde de Midland mais c'est véritablement à partir de la moitié du troisième volume, où le mangaka nous plonge dans une rétrospection, que se lancent l'aventure et les explications... enfant, Guts est retrouvé vivant sous un cadavre en pleine campagne. Heureusement, il est sauvé par Sis qui décide de l'adopter mais Gambino, son mercenaire de mari refuse immédiatement d'assumer la parenté. Trois années ont passé, sa mère adoptive est mourante, Guts se charge alors d'être l'écuyer de Gambino qui le traite mal tout en lui apprenant le maniement des armes. Guts fait petit à petit ses preuves et impressionne même son père adoptif qui garde une grande rancoeur contre cet être qui lui a pris sa femme. Gambino décide de se venger par tous les moyens de cet enfant si bien qu'une nuit, fin saoul, il décide d'assassiner notre héros mais c'est l'inverse qui se produit. Le monde de Guts s'écroule...

Obligé de fuir les siens, il erre à travers les vastes champs de bataille comme mercenaire solitaire lorsqu'il est assailli par une troupe de mercenaires, la Troupe des Faucons. Après avoir réalisé une démonstration de sa force face à plusieurs hommes en maniant une épée gigantesque, le leader Griffith le provoque en duel et arrive à le vaincre... la première défaite de Guts. A la fois admiratif et rival de cet homme charismatique, il va alors accepter de rejoindre sa troupe pour former une équipe invincible et réaliser le rêve de cet homme : construire un monde meilleur.

L'ambition dévorante de Griffith ne cesse d'apporter victoires et succès d'importance aux Faucons si bien qu'ils sont reçus dans les hautes sphères du royaume. Lors d'une mission plus périlleuse que les autres, la Brigade va devoir faire face à Zodd, un démon réputé pour vivre depuis plus de cent ans sans jamais avoir été vaincu et ce ne sont pas les nouveaux mercenaires stars qui vont le mettre en déroute mais c'est la prophétie du monstre qui retient l'attention : Griffith conduira à leurs pertes tous ceux qui l'entourent... s'engage alors une aventure rocambolesque où la démarche de Miura se base sur la question : la haine de Guts est-elle plus forte que l'ambition de Griffith ?

Berserk (c) Glénat
Berserk (c) Glénat
Loup solitaire contre Faucon blanc

La galerie de portraits de Berserk est immense et faire un portrait de Guts n'est pas une mince affaire. En français, son nom est Guts, Gatsu en japonais et en anglais, il se nomme Gutts, ce qui signifie tripes et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il en a énormément. En effet comment décrire un homme qui a passé sa vie à combattre, un homme qui a passé sa vie à poursuivre un but fixé depuis son enfance, un homme qui côtoie la mort au quotidien, un homme qui a rêvé de gagner tout ce qui fait une vie pour tout perdre à cause du rêve d'un autre ? Ces questions sont à l'origine du scénario extrêmement étoffé de l'épopée fantastique qui fera passer par tous les états un personnage peu loquace mais diablement efficace. Impressionnant aussi bien physiquement que par sa science de la vie et du combat, il est aisément reconnaissable à ses signes distinctifs.

Portant une étrange marque au cou et borgne aux multiples cicatrices, Guts n'est pas un héros propre sur lui et le plus dur reste à venir... tout drapé de noir et combattant avec son épée gigantesque Dragon Slayer, Guts possède une main gauche artificielle transformée en arbalète-canon (d'ailleurs, un des grands mystères est de découvrir l'origine de toutes ces blessures). Téméraire, il n'hésite pas à se lancer face à plusieurs adversaires en même temps pour triompher au prix de multiples périls mais sa haine contre Griffith est plus forte que tout. Son passé le poursuit, son présent est une lutte permanente et son futur est un calvaire, il vit au bord de la folie avec la peur d'y basculer un peu plus chaque fois. Il héritera même du surnom "Guerrier Noir" sur les champs de bataille.

Gambino et Griffith, ses deux mentors lui ont chaque fois brisé son rêve d'où une sincère répulsion pour les rapports humains. Deux fois, il a fait confiance et deux fois, il a été trahi, le visage de Guts traduit ce sentiment à merveille. Tendra-t-il à nouveau la main vers quelqu'un d'autre ? Tel est le destin que ce personnage, qui se fera surnommé Guerrier Noir, vit à travers une odyssée qui ne peut se solder que par la vengeance contre ce fameux Faucon blanc.

Griffith, leader de la Troupe des Faucons avec de longs cheveux blancs et un regard qui fait fondre tous les personnages féminins du manga, notamment la princesse Charlotte est un personnage ambigu, tour à tour angélique et diabolique. Son premier caractère s'exprime par un rêve idéaliste consistant à bâtir son propre royaume mais le second est une ambition qui se traduit par une passion dévorante pour le pouvoir qui apparaîtra progressivement jusqu'à atteindre son paroxysme lors de son passage en tant que membre à part entière de la Main de Dieu, un groupe d'êtres bien mystérieux qui ne se refusent jamais un massacre en règle. De plus, il détient un oeuf étrange nommé Behérit, source de la prophétie de Zodd... 266800_250
Berserk (c) Glénat

Seconds couteaux de premier choix

Caska le seul amour de la vie du héros, jeune femme courageuse, garçon manqué sur les bords mais au charme incroyable. Elle connaîtra une transformation profonde après avoir été ravagée par le rêve de Griffith lors du fameux passage de l'occultation qui reste comme le moment clé de la série. Si dure et si douce à la fois, Caska n'apprécie pas Gutts à leur première rencontre car celui-ci prend la place de favori qui lui revenait aux yeux du chef de la Brigade des Faucons jusqu'alors. Par la suite ces deux-là verront leurs relations changer pour ne plus être que des « compagnons d'armes » mais bien plus encore... Elle est d'ailleurs le second de la Troupe des Faucons en charge de suppléer Griffith auxquels viennent s'ajouter Judo, Pippin, Corkus, Rickert et bien d'autres encore tous dévoués au charismatique jeune homme aux cheveux blancs.

Puck l'elfe guérisseur constitue le personnage comique de la série notamment lors de ses passages en super deformed et fait totalement contraste avec Guts par son comportement jovial et pleutre. Néanmoins, il se révèle d'une aide précieuse dans les moments critiques même si sa capacité de guerrier est en dessous de zéro. C'est le seul véritable ami de Guts (si on peut dire ami avec lui) lorsque celui-ci évolue seul mais bien plus tard ils seront rejoints par une troupe inattendue...

Un mot sur les autres personnages qui apparaissent ponctuellement mais qui ont des rôles importants dans les événements. Zodd, le démon immortel à la masse physique monstrueuse retrouvera sur son chemin un être semblant posséder beaucoup de clés sur le monde de Midland, le cavalier apparaissant au clair de lune, Skullknight. Sa légende nous sera révélée par Charlotte, la princesse héritière du trône, folle amoureuse de Griffith. Ce sont trois des plus marquants parmi la centaine de rencontres inattendues de Guts, autant dire une richesse incomparable en qualité et en diversité du côté scénaristique...

Berserk, le pur sang du manga

Berserk gore ? Le sang coule à flot dans un univers de violence perpétuel. Oui, le seinen tend à évoquer les souffrances humaines et à mettre en avant des personnages qui ne demandent qu'à se battre jusqu'à la mort, les humains sont d'ailleurs souvent les premières victimes faciles de monstres de tout poil ainsi hurlements et détresse sont fréquents. Cependant, sans vouloir faire d'apologie de quoi que ce soit, je tiens à préciser que le seinen reflète quand même le Moyen Age et ses légendes, époque sanglante s'il est besoin de le rappeler. Pourtant, Berserk est bien plus qu'une lutte fratricide entre humains et monstres car les vrais thèmes de réflexion sont présents, tiraillant Guts entre son rêve et son côté schizophrène. De plus, Miura n'a pas hésité à faire intervenir des éléments contemporains de l'époque dans laquelle il nous embarque, ainsi l'Inquisition avec les chasses aux sorcières et les champs de batailles où nombre de chevaliers se retrouvent dans un monde globalement fantastique. Angoissant et gore sûrement, mais même si les têtes volent souvent après des coups de hache, Berserk propose aussi autre chose que de la violence pure et gratuite avec des intrigues politiques, des romances incroyablement riches en rebondissements et poignantes devant leur évolution (Caska-Guts surtout), des moments comiques avec les facéties de Puck et Ishidoro... tout ceci au travers de mondes enchanteurs, comme celui des elfes par exemple.

L'expression parfaite d'un travailleur acharné

14 ans. Berserk est paru pour la première fois dans le magazine Young Animal en 1990 mais n'a pas pris une ride. La série est très longue et promet encore de longues heures de lecture car après vingt-six chapitres, de nouveaux adversaires apparaissent sans cesse devant Guts prenant la forme de sous-fifres de Griffith ou de monstres banaux cependant le dénouement de l'oeuvre paraît encore lointain. Miura prend son temps mais ce n'est pas pour autant que le manga perd de son intensité. Si l'intérêt de l'aventure semble se relâcher, c'est pour mieux rebondir par la suite ! Et jamais, au grand jamais, l'ennui ne se fait ressentir !

Si Kentaro Miura (Oh-Roh) est si peu connu hors de l'archipel, c'est à cause du faible nombre de ses séries parues à l'étranger. Mangaka discret, il est à l'origine de ces dessins complexes où les détails sont nombreux. L'explication se trouve sûrement dans le délai de parution lent des volumes mais le travail de l'image le pardonne amplement car l'ensemble est toujours propre et précis jusqu'à absolument incroyable parfois. En effet, avec une précision du trait qui ne cesse de s'améliorer pour atteindre des sommets aux alentours du vingtième volume, chaque case est remplie très consciencieusement aux limites du perfectionnisme. Il y a beau chercher, les défauts graphiques sont pratiquement inexistants et personnellement, j'ai dû beaucoup me forcer pour trouver des défauts à l'oeuvre car à part la piètre qualité de publication de l'éditeur Dynamics, Berserk apparaît comme une oeuvre majeure que le public amateur d'héroïc fantasy se doit de posséder dans sa mangathèque.

Caractériser Berserk en une phrase : s'il ne devait en rester qu'un, ce serait lui ! Les aventures de Gatts sont tout bonnement exceptionnelles. Avec seulement, six volumes parus en France, il a déjà conquis le coeur de nombreux lecteurs. Malheureusement, Dynamics a perdu les droits et le manga n'a pas eu l'occasion de voir son septième tome traduit, cependant une bonne nouvelle semble arriver avec des bruits de réédition pour lesquels pratiquement tous les éditeurs se sont jetés dans la bataille.

L'animation d'une folie furieuse... peu maîtrisée

Devant son succès incommensurable sur format papier, Berserk connaît une adaptation vidéo. Dynamic Visions propose l'anime du même nom pour un total de vingt-cinq épisodes parus à partir de 1997. Première constatation, l'anime n'est qu'une partie du manga car il ne propose que de suivre Gutts pendant son périple avec la Troupe des Faucons jusqu'au moment de l'éclipse. La jeunesse et l'adolescence du héros sont évoquées avec moins de détails et de brio que dans le manga d'autant plus que l'animation n'est pas de première qualité. L'histoire diffère légèrement au niveau de l'apparition des événements et c'est donc forcément en moins bien qu'on apprécie le passage de Guts à l'écran.

Cependant, tout n'est pas mauvais puisque l'ambiance est bien retranscrite avec des couleurs sombres succédant à des plus claires au fur et à mesure des épisodes. Le chara design est représentatif de celui de l'oeuvre et fait ressortir les sentiments exprimés assez facilement. Guts est toujours aussi sombre, Griffith aussi dual, Casca aussi charmante... mais l'absence de personnages comme celui de Puck est assez décevante. Dommage de ne retracer que la partie de gloire de la Brigade des Faucons ! De plus, l'OST de Susumu Hirasawa à tendance rock nippon est assez dynamique pour coller avec l'anime, sans plus.

Violence et amour, guerre et repos du guerrier, sentiments à profusion, fantastique et horreur, trahisons et complots succédant à bonheurs futiles... tout ça c'est Berserk. Une oeuvre majeure attendue à chaque nouveau volume et qui doit son salut uniquement à la patte de Miura. Phénomène au Japon, en passe de le devenir ailleurs, l'oeuvre a commencé à se décliner sur tous les supports puisque même un jeu Dreamcast est paru. La prochaine parution des volumes de Berserk chez un éditeur un peu plus sérieux devrait replacer une série mal connue parmi celles les plus cotées toutes catégories confondues. Une seule chose à faire : harcelez vos libraires !